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Par luciole 83 le 11 Janvier 2021 à 05:00
Pour ce Défi n° 243, Colette (cliquez sur le nom), en toute simplicité,
nous propose de rédiger un texte sur le thème suivant :
"Lipogramme sans A"
pour le Lundi 11 Janvier 2021
L'ECUME DES JOURS
(sans A)
Vous êtes l'écume qui roule sur mes jours,
Déserteur ! Mon heureux printemps se flétrit.
Dépourvu de tendresse, hors vous, il dépérit.
Je subis votre loi et mon cri se noie.
L'espoir en heures tristes lentement se déploie,
Ô mon Prince, m'enivrer de votre présence, toujours !
Je meurs ! L'Heure sonne en pleurs silencieux
Le voile est levé : souffrent les cieux !
En mon coeur pur est entrée une rosée,
Infini bonheur des jeunes épousées.
En mon sein convulse un Don mystérieux,
Effroi d'une écervelée jeune et pieuse !
Un bruit ! C'est le père qui vient,
L'ombre mortelle du père,
Le père et son coeur de pierre !
L'oeil noir scrute le ventre indécent,
Viole le lourd secret : quelle offense !
L'Heure tinte en requiem,
Un cri déchire cette nuit blême...
Ô mort ! Fureur funeste du béotien !
Les foules fourbes et insensées, impies,
Que l'ennui des jours rend cruelles,
Usent insolemment d'un pouvoir mortel,
Becs et ongles, coeur sec, répudient....
Féroces foules théurgiques,
Yeux peureux rivés sur des cieux iniques,
Hurlent : " hors du nid, colombe éprise !
Brûle en enfer, éhontée insoumise !"
Hypocrites nuits de désir,
Qui jettent sur le bûcher se mourir
les jeunes filles impudiques !
Une ombre frissonne, horrible gouffre,
L'indigne Prince exotique, s'enfuit et souffre,
Spectre livide, lui, l'épicurien hier encore si chéri,
Si redouté ! Depuis longtemps de ses frères l'égérie,
Prophète durement mené du côté de ses hormones,
Homme de prières sur qui tout repose, il s'époumone.
Son désespoir tourné vers l'immensité bleue, il prie...
Honneur et gloire sombrent sur l'horizon nébuleux, muselés
Douleur méritée, qui entre, pèse , scelle et cloue sur le pilori,
Les vices de l'orgueilleux indocile envers toute censure imposée.
Le besogneux temps défile, se consume et ne procure plus de joie,
Vers l'impossible nul n'est tenu ! Le monde déteste les destinées grises...
En funèbres mots, ivres de vin et de rêves sinistres, de terreurs sous emprise,
Oublieux de toute Miséricorde Divine, en l'onde liquide il se jette et se noie !
Sort clément pour qui trop endure !
Luciole
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Par luciole 83 le 23 Novembre 2020 à 07:00
Les Souffleurs, commandos poétiques en résidence sur la Val Briard pendant 3 ans,
à la rencontre des enfants du CP au CM2 pour faire vivre la parole littéraire et poétique (25/11/2019)
https://actu.fr/ile-de-france/fontenay-tresigny_77192/seine-marne-troupe-souffleurs-chuchote-paroles-poetiques-dans-toutes-ecoles-val-briard_30353461.htmlCliquez sur l'image
Nous choisirons chacun(e) un tableau célèbre, si possible l’un des 22 exposés ici
et dans un petit texte en prose ou en vers nous devrons l’évoquer sans le nommer, donc le faire deviner.
Pour corser le défi, nous devrons glisser dans notre présentation au moins l’un des mots suivants (ou tous) :
chaise-longue, oiseau, arrosoir.
Chopin
LES SOUFFLEURS DE MOTS
J'ai passé toute la soirée, arrosoir à la main, à naviguer péniblement entre fontaine, arbres et plantes, accablée de chaleur et de fatigue. Il est tard ! Les oiseaux se sont tus, leurs sublimes arpèges ne m'accompagnent plus.
C'est l'Heure de se faire belle et de partir à l'aventure. Déjà, je perçois, au loin, l'appel des voix, amplifié par les haut-parleurs ....
Hier à la bibliothèque, j'ai lu l'affiche...
Ô la merveilleuse idée !
Munie de ma grosse veste en laine, les nuits sont fraîches par ici, j'arrive, essoufflée.
La nuit est tombée sur l'Esplanade illuminée de guirlandes et de flonflons... Dans un désordre savamment élaboré, des chaises longues loufoques, éclaboussées de couleurs vives, de dessins rigolos, colonisent tout l'espace, ouvrent leurs bras bienveillants.
Surprise générale des villageois accourus en masse dès l'appel de la voix... Ils stoppent, indécis, déboussolés, aux abords de l'Esplanade... Truculentes réflexions de l'humain quand les codes habituels volent en éclats...."Depuis quand les transats détrônent ils les chaises ? C'est nouveau, ça ! Encore une riche idée de la Mairie !".....
Et l'opposition, ravie, de parler de la dette abyssale et des impôts locaux, braves gens, réveillez vous :....."
Mais la voix douce des haut-parleurs invite le peuple à un repos mérité dans ces transats toilés....
C'est la ruée ! Les préposés sont débordés... Pourquoi une chaise longue plutôt qu'une autre ? ... Les familles, les amis, se regroupent, bousculent, colonisent.... Des petits vieux, à petits pas précipités, malhabiles, dérivent, hésitent, puis choisissent en s'installant avec moultes précautions et s'inquiètent soudain, une fois péniblement allongés dans l'esquif fragile : "Qui viendra les relever ?"
Il est bien difficile d'assujettir une pensée originale dans la marche normale du quotidien !
Pendant que s'affairent autour de soi des hommes et des femmes vêtus de noir, la curiosité dodeline... les corps sont accablés de fatigue et de chaleur.... On se délecte finalement avec gourmandise de l'excentricité....
Des retardataires se pressent dans cet univers bourdonnant, cherchent le havre de paix qui reste et s'allongent avec de profonds soupirs de soulagement....
Dans cet instant préparatoire, on se prend doucement à rêver... on farniente.... la léthargie complice se propage de siège en siège... On regarde le ciel, les étoiles scintillantes....
Soudain, c'est la plongée dans la nuit noire ! Les luminaires s'éteignent, allumant des cris, des "ohoooo !", des "aaaah ?"... Les esprits s'éveillent brusquement ! Puis on retient son souffle...
Les ombres noires balisent des chemins lumineux à l'aide de bougies aux flammes vacillantes... Les gens s'ébaubissent, amusés, inquiets... "C'est quoi, ce binz ?" crie la voix suraigüe d'une jeune beauté qui s'agite dangereusement sur son siège branlant.... Rire général ! Puis tout s'apaise... Dans le silence noir troué de petites lueurs, les silhouettes sombres, armées d'un long tube noir, s'activent ...
Temps suspendu dans la douce féérie lumineuse sous le ciel divinement étoilé... Les tubes se tendent vers les oreilles intriguées des premiers rangs, et des bouches, à l'autre bout du tuyau, chuchotent des poèmes, des devinettes, des merveilles... Tout est tendresse, douceur, béatitude...
Les Souffleurs descendent, se coulent dans la nuit de rang en rang, leur "rossignol" cherche l'oreille attentive....
Le Don est au coeur de leur démarche !
Le souffle poétique se propage de bouche à oreille....
Pourquoi se détacher du rêve en ce monde stressant ? L'instant est à l'amour et le rêve est si beau !
Enfin, c'est mon tour... Mon coeur frissonne sous le souffle curieux, étrangement métallique qui chuchote :
"Qui suis-je pour t'émerveiller ainsi ? Ecoute-bien ces quelques mots poétiques et réfléchis ! Si tu découvres le nom de ce peintre et l'intitulé de son oeuvre, tu gagneras un lot magique ... Ecoute :
Sous le pinceau de l'étrange Génie impulsif,
S'enlacent, se tordent en larges volutes chaotiques,
Des nuages sauvages, débridés, pris de folie,
Dans un ciel tourmenté où tournoient des astres ivres.
Un croissant de lune orange en une folle danse au soleil s'unit,
Tandis que la flamme noire d'un cyprès mystique
S'élance, puissante, vers l'énergie cosmique.Comme détaché de ce Ciel sublime, un village tranquille,
Pelotonné autour de son fier clocher élancé, qui,
En flèche acérée, semble vouloir percer le mystère théologique...Sublime allégorie d'un poète mystique qui, sans bigoterie,
Veut ramener la Foi au Centre de nos vies ?Mon esprit, parachuté dans l'univers inédit de la poésie, s'affole !Je n'ai pas tout saisi ! M'emparant doucement du bout métallique du tuyau collé à mon oreille, je souffle maladroitement
"Puis-je réécouter ? Je n'ai pas bien compris ... merci !"
Le rossignol se colle de nouveau à mon oreille, réédite et m'embarque dans le voyage...
Au rythme des mots projetés sur la toile vide de mon esprit se dévoile lentement une claire vision...
Je jubile ! J'ai trouvé ! C'est fantastique !
Saisissant le tube, je crache d'excitation la réponse aux deux questions demandées....
Le rossignol retrouve mon oreille et la voix étrange me félicite. La femme en noir me tend un papier avec un numéro de lot à quérir à la Mairie dès que possible !
Vocaliser des oeuvres... allier les mots à la Beauté d'un tableau célèbre... Quelle merveille ! Voilà qui va m'aider à affronter l'affreuse chaleur des beaux jours à venir.... Je suis ravie, ravie ! Heureuse comme un coq en pâte dans mon transat branlant, sous la voûte rassurante des cieux... enveloppée de ma chaude veste en laine...
Dommage : c'est déjà fini ! Une à une les bougies s'éteignent... Les guirlandes s'illuminent.. Un orchestre s'installe et les chaises longues se replient ....
On réveille en douceur la foule des grands jours par un slow langoureux et les couples s'enlacent.... La terrasse du Bar se remplit...
On se lasse vite de l'inédit ! Et le quotidien, main dans la main, s'en revient au galop...
L'ambiance est à la fête. L'air embaume les sucreries offertes des boutiques ambulantes et les écoeurantes barbes à papa s'enroulent devant une file de bambins excités....
Je m'en retourne à pas pressés vers mon havre de paix décentré... trop solitaire au milieu de cette foule qui s'amuse, crie et rie.... sous les décibels d'une musique moderne qui réclament la jeunesse... Les vieux se replient en hâte, exaspérés par le bruit assommant des sonos à plein régime.....
Luciole
"Une nuit étoilée" de Van Goghn (un de mes peintres préférés avec Monet)
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Par luciole 83 le 18 Octobre 2020 à 18:01
Gare à l'eau qui dort n° 34
Louise et Justine
DUO de CHOC !
"Damien est sorti du coma depuis ce matin, Adèle....J'ai reçu des nouvelles de part mes hommes en place... Pour l'instant, il n'a pas encore retrouvé sa pleine conscience, ni la parole, mais le médecin a bon espoir.... Louise, je comptais t'en parler en privé dès que possible...." lança comme une bombe Dorian d'une voix d'outre-tombe.... Il n'avait pas l'air réjoui du tout du tout.....
Adèle, submergée par trop d'émotions, ne réagissait plus ! Elle se leva lourdement et s'en retourna lentement vers son bureau sans commentaire...
Louise accusa le coup ! A quoi s'attendait elle au juste ? (Cliquez sur les phrases. Episode n° 34)La nouvelle fracassa le moral de l'Inspecteur Stan, qui se mit à arpenter le Bureau à grands pas nerveux, l'air troublé....
Ainsi, celui que tous ici, dans cette Agence, appelaient encore le "Patron", était sorti du coma et allait sans doute reprendre progressivement conscience.... Décidemment, les Hommes qui faisaient le malheur des autres échappaient souvent à tous les dangers....
Tout nouvellement projeté dans cette entreprise en déconfiture, en plein contexte de tensions sociales, il lui fallait asseoir très rapidement sa légitimité.... et celle de Louise, afin d'éviter tout conflit avec les collaborateurs trop zélés de Damien qui risquaient fort d'hésiter sur le parti à prendre...
Diable ! L'incompétence évidente de Louise allait poser problème ! Il fallait prendre une position claire, mettre les points sur les i, révéler tout ce qui était caché, au risque de perdre de précieux collaborateurs....
"La situation est complexe !!! " verbalisa soudain Stan entre deux enjambées....
"J'aurai préféré que Damien nous facilite le travail en optant pour un réveil plus tardif ! La défiance des employés de l'Agence envers nous risque de monter d'un cran, surtout s'ils craignent pour la pérennité de leur emploi ou pire encore, celle de l'Agence....
D'autant plus que vous souffrez d'un sérieux manque de compétence, Louise...
Espérons que vos employés ne se cristalliseront pas sur ce grave problème, sinon nous aurons beaucoup de mal à leurs faire admettre l'éviction de Damien au sein de son Agence....Louise, il nous faut préparer d'urgence la prochaine réunion avec tous vos collaborateurs et employés..... avant tout risque de surchauffe des esprits.... La moindre des décisions prises peut affecter toute l'organisation d'une entreprise !"
"Je pense qu'il nous faut d'abord envisager des entretiens privés avec chaque personne et écouter son point de vue, Stan" trancha vivement Louise, sur un ton sans réplique qui stupéfia l'Inspecteur, stoppé net dans son élan marathonien.. "Se montrer bienveillants, vous et moi, afin de favoriser une discussion ouverte et constructive... Nous pourrons ainsi mieux cerner tous les problèmes et les enjeux....
Il me faut donc étudier en priorité les dossiers de chaque employé, afin de mieux les connaître ... et d'établir la charge de travail de chacun...Ensuite, nous pourrons nous concentrer et nous concerter sur toutes les modalités d'une réunion ...
"Il est inutile et nocif de vouloir constamment me culpabiliser, Stan ! Prenez donc du recul et accordez moi le temps de digérer toutes les informations nécessaires au bon fonctionnement de cette Agence....
Vos reproches bloquent tout avancement et m'agacent prodigieusement ! Je ne les supporterai plus désormais ! Cette violence verbale est déplacée : c'est un frein sérieux à tout épanouissement ! Il vous faut sortir de suite de ce triangle infernal bourreau/victime/sauveur.... envers moi ou toute autre personne de l'Agence...
Je ne me donnerai même plus la peine de vous le répéter, Stan.... "menaça Louise avec une assurance et un aplomb qui bouleversèrent l'Inspecteur ébahi, mais qui réjouirent fort Dorian....
"Bien envoyé !" jubila intérieurement Dorian qui se leva lourdement et prit congé en prétextant sa fatigue, créant ainsi une bienheureuse diversion entre les deux protagonistes montés sur leurs ergots...
Louise se précipita vers son ami et lui prit le bras afin de l'aider à marcher... Dorian se laissa faire en riant silencieusement.... Elle se cramponnait à lui plutôt que de lui être d'une utilité quelconque..... Il lui souffla doucement :
"Bon courage, Louise, et bravo ! Tu as toutes les capacités requises pour être le Chef ! J'aurais fait et dit les mêmes choses à ta place.... et je suis une référence !" Il tenta de rire, mais y renonça...
Ils traversèrent ainsi, clopin-clopant, le Bureau d'Adèle.... La Secrétaire, plongée dans ses dossiers et ses écrans, ne daigna même pas relever la tête : elle n'aimait pas Dorian ! La honte de s'être livrée ainsi devant tous ces gens ne la quittait pas... Elle s'en voulait affreusement et tentait de travailler sans conviction.... ça ira mieux demain !
Le faux client, assis confortablement dans la Salle d'attente, qui épiait chacun derrière son journal, se leva et proposa son aide....
Louise regarda affectueusement Dorian et l'embrassa avec beaucoup de précautions sur sa joue meurtrie devant son personnel.... Tout ragaillardi, Dorian partit au bras de son acolyte et disparut dans l'ascenseur....
Louise se retrouva bien démunie, au beau milieu de cette immense Salle d'attente. Son meilleur appui la quittait... Il fallait désormais se battre seule avec l'adversité, avec les difficultés de toutes sortes....
Elle rencontra le merveilleux sourire d'Ophélie qui la réconforta bien davantage que des paroles.... Louise, refusant de perdre sa spontanéité, sa franchise, sa liberté d'action et sa sérénité intérieure, rendit son sourire à Ophélie avec un petit signe de tête complice... Elle repartit d'un pas assuré vers son bureau ou Stan l'attendait toujours, assis dans le fauteuil de Dorian qui avait retrouvé sa place habituelle dans le salon...
Stan, décontenancé, semblait bouder.... Faillait-il continuer à la conseiller....bien malgré elle, ou de lui laisser de l'espace, de l'initiative ? Il prenait la menace de Louise très au sérieux ! Pendant l'absence de Louise, il avait durement cogité !
La vie était toujours un compromis entre défaites plus ou moins acceptées.... et fallacieuses espérances... Il fallait défendre chaque pouce de terrain acquis que la plus infime des hésitations rendait brusquement improbable....
Cependant, il avait pris goût à tenir les rênes d'un fragile mais nécessaire pouvoir lié à son métier d'Inspecteur des Assurances, passionné par les complexités et responsabilités de cette mission ingrate face à l'incurie coupable de certains dirigeants....dont Damien et ses collaborateurs....
Être aux commandes d'une Agence d'assurances était loin d'être un long fleuve tranquille... La plupart du temps, les personnes visées n'avaient même pas conscience d'être négligentes.... et les conséquences ne tardaient pas à être dramatiques...
Il avait cru longtemps qu'il lui serait possible de partager une forme de sympathie avec les protagonistes, ce qui l'aurait dédommagé des exigences de sa profession, souvent mal comprises et mal vécues par patrons et personnels...
Mais il lui aurait fallu une sacrée dose d'humilité.... qu'il n'avait pas... ou ne voulait pas !?! Une épineuse amitié courtisane, dans une société de loups où régnaient le mensonge, la compétition et les coups bas excluait l'amitié réelle...
Et rien n'était plus dangereux qu'une amitié de faible.... Cette pensée l'effraya... N'était-il pas enclin à la bonté, parfois ? Il ne pouvait se le permettre ! Seule l'indifférence le protégeait....
"Si tu veux te faire un ami, commence par l'éprouver et ne te hâte pas de te confier à lui" (L'Ecclésiastique 6,7), lui serinait sa mère...
Sa raison avait abdiqué ! Exit, bonté et affabilité ! Le cynisme avait pris le dessus, bien qu'il reconnaissait lui-même que le cynique redoutait surtout ses noirs démons intérieurs...
Volupté du pédant qui, se plaçant au-dessus du commun des mortels, se dégoûtait des amitiés humaines, face aux embûches des hommes.... Tout n'était que compromis entre sa volonté propre et celle des autres... Les liens se désagrégeaient si vite....
Valoriser une Agence dont l'image était bien souvent dégradée était une épreuve difficile : il y fallait des méthodes d'une netteté mathématique pour rétablir l'équilibre...
Cette matinée interminable, encombrée de discussions inutiles et importunes, qui sapaient l'énergie nécessaire aux affaires, l'avait exaspéré ! La sollicitude, même sincère, fatiguait et avait absorbé une bonne partie de leur précieux temps...
L'étude de soi étant la plus difficile des sciences humaines, alors celle des autres, que valait-elle ? D'autant plus que les humains s'arrangeaient toujours avec leurs secrets qui servaient le plus souvent à plaider leur cause...
La sincérité s'embourbe sans cesse dans les mensonges de la mémoire ! La malveillance humaine se repaît tellement d'observations bornées, d'informations à courte vue, d'indiscrétions malsaines, de jugements tout faits, mal ficelés... Alors la sincérité, au milieu de tout ce fatras ???
Toute vie, dans laquelle le regard cherche une raison d'être, est tracée par les circonstances ! A quoi bon toutes ces vantardises, ces jérémiades, ces récriminations, ces confessions publiques ??? Quelles billevesées !
Stan glissait dans sa vie, d'apparence austère, sans y attacher la moindre importance. Il se savait pourtant maniaque, sans joie, comme accablé de vertus.... et d'une probité rigoureuse, enfermée dans les étroites limites de son savoir... , et comme tout un chacun, mal préparé aux vicissitudes de l'existence humaine...
Bref, il survivait ! Seul le miroir inquiétant des regards lui révélait parfois sa petitesse... comme les yeux clairs de Louise... ou ceux, plus mordants, narquois, inquisiteurs, de Dorian.... Ah diable, qu'il ne l'aimait pas, celui-là ! Comme il prendrait plaisir à le confondre, cet homme rusé chez qui le meilleur et le pire s'étayaient sans complexes....
Il haïssait ces êtres mal dégrossis, égoïstes, avides, capables de tout pour réussir, pour paraître, pour survivre, pour éviter de souffrir...
Comment les hommes pouvaient ils oublier que la vraie liberté était toujours entachée de servitudes ? La naïveté de Louise l'accablait ! Avec elle, il marchait sans cesse sur une corde raide... Elle réveillait en lui des craintes qu'il détestait.... Son tempérament s'accordait mal avec le sien.... Les précipitations maladroites de Louise, encouragées par cet idiot de Dorian, pouvaient lui enlever toute chance de réussite....
Cependant, il fallait ménager la susceptibilité de cette si jolie femme, fille de Monsieur le Baron, le vrai Patron de cette entreprise qui l'avait embauché et lui faisait confiance... Non pas une basse renonciation, mais des concessions prudentes qui s'imposaient !
Il soupira, fort contrarié, et se contenta de lui proposer de prendre en charge des tâches simples pour commencer....
"Je suppose, Louise, que le courrier doit s'entasser dans les dossiers d'Adèle et de Justine... On pourrait peut être s'attaquer à cette besogne ?"
"Avec plaisir, Stan, mais auparavant, je voudrais rencontrer Justine ... Je vous propose d'aller dans son domaine, ce sera plus facile pour elle...."
Stan opina de la tête et se leva avec soulagement.... Louise lui parlait affectueusement ! Son découragement s'envola soudain, et l'homme las, dégoûté de tout, de la vie et du monde, lui offrit galamment son bras et la guida vers le sanctuaire de Justine : la Salle des Archives....
Ils contournèrent l'immense bureau d' Adèle. Stan ignora superbement la vieille secrétaire visiblement embarrassée tandis que Louise lui sourit avec un petit signe de tête amical... La porte des Archives se trouvait juste derrière Adèle.
Justine, perdue dans la grande salle aux murs recouverts d'étagères croulant sous les archives, au beau milieu d'une forteresse de dossiers empilés sur les longues tables qui s'alignaient au centre de l'immense pièce, scrutant ses trois écrans devant elle, se leva soudain, fort surprise de voir cette magnifique femme fort élégante venir à elle, au bras de Monsieur l'Inspecteur dont elle aimait la rigueur, la compétence et la sagesse...
"Bonjour Justine, je me permets de vous présenter Mme Louise de Montabert, épouse de Monsieur Mayer, qui tentera avec vous, si vous le désirez, de gérer efficacement cette Agence qui vaut des milliards, malgré la crise grave à laquelle elle est confrontée actuellement.... "
Suffoquée, Justine contemplait Louise avec un intérêt redoublé en la fixant intensément. Elle dévorait des yeux, fascinée, la femme du Patron, qui avait tout d'une aristocrate, le port de tête, l'allure, la noblesse de l'attitude, le raffinement de l'élégance.... Madame Louise de Montabert pétillait ! Elle avait un charme fou...
Justine aima instinctivement Louise... qui semblait provenir d'une autre dimension, tant elle détonnait dans cette Agence minée par les mesquineries et les intrigues pesantes....
Elles étaient si affamées d'amitié, l'une et l'autre....
Louise, flattée de son intérêt, éblouie par la beauté juvénile et musclée de Justine qui irradiait la bonté, la générosité et l'intelligence, éclata d'un rire cristallin de jeune fille.... et, sans façon, s'avança vivement vers elle et l'embrassa sur les deux joues comme pour une amie de longue date.... sous les regards courroucés de Stan...
"Décidemment, Louise aime jouer avec le feu" pensa t-il, brusquement confus, désorienté, devant cette amitié féminine spontanée... dont il se sentait exclu... presque jaloux...
Justine, quelque peu embarrassée, pressentit la femme d'affaires avisée sous le vernis mondain de Louise.... dont la trentaine se laissait à peine deviner.... Elle lui sourit chaleureusement, formidablement réconfortée...
"Comme nous allons nous entendre, toutes les deux !" s'exclama Louise, enchantée... Nous allons former un duo de choc, vous et moi ! Appelez moi Louise, je vous prie, vous me feriez tellement plaisir....Je vous suis tellement redevable, Justine, merci... merci infiniment !"
Luciole
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ROMAN : "Gare à l'eau qui dort" - cliquez sur les phrases ci-dessous :
28 commentaires
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Par luciole 83 le 4 Octobre 2020 à 15:11
Gare à l'eau qui dort n°33
ENJEUX AUTOUR D'UN BEBE
La colère de Louise se fracassa sur le désespoir infini, évident, de celle qu'elle considérait comme une ennemie... Adèle sembla se dégonfler soudain... Elle émit toutes sortes de gloussements étouffés et se mit brusquement à pleurer... Effondrée dans le fauteuil, le visage caché dans ses mains, elle hoquetait violemment... (Episode précédent - cliquez sur la phrase)
Louise s'empara de la boite de Kleenex sur le bureau de Damien et la plaça sur les genoux d'Adèle. Puis elle retourna chercher la poubelle sous le bureau et la posa à côté de la Secrétaire....
"Merci Madame !" murmura Adèle qui se calma peu à peu, se moucha discrètement, puis essuya ses yeux.
Profondément gênés, ils la laissèrent reprendre ses esprits, incapables de trouver les mots qui auraient pu la réconforter.
Elle resta prostrée quelques instants, comme en état de choc.
Louise fut la première à réagir enfin.
"Désirez vous un thé, un café ou autre, Adèle ?"
Surprise, Adèle releva son regard mouillé sur Louise, soulagée.
Un thé, merci Madame la .... "
"Appelez moi Madame, tout simplement, Adèle, ça suffira... A moins que vous ne préfèreriez Louise....!
"Oh, je ne me permettrai pas, Madame" protesta Adèle . Ce ne serait pas correcte, surtout auprès du personnel...."
"Je le pense aussi !" confirma énergiquement Stan qui fit les gros yeux à Louise. "Il est préférable d'éviter les familiarités, Louise, si voulez vous faire respecter par vos employés".
"Vos employés ? Ai-je bien entendu ?" s'angoissa silencieusement Adèle "Alors c'est Madame qui prend les commandes ?..."
"Et vous, Messieurs, thé, café... ?"
"Cappuchino, avec un verre d'eau, s'il vous plaît Louise ! " se rengorgea soudain Stan, tout heureux que Louise s'occupa de lui "mais sans douceurs sucrées, merci !" Stan, préoccupé de sa ligne et de sa santé, ne supportait pas les écarts de nourriture...
"Un verre d'eau, avec paille, merci Louise" répondit sèchement Dorian, agacé par cette interruption, craignant qu'Adèle ne se reprenne et ne se taise à nouveau... Il faut toujours battre le fer quand il est chaud !
Ophélie refit apparition avec un lourd plateau qu'elle posa sur la table de salon, fort surprise des traits tirés et des yeux rougis de la Secrétaire de Direction qui semblait fort mal à l'aise, et de l'ambiance lourde, désagréable, qui régnait dans le Bureau du Patron...
"Houuu ! "On" a du lui souffler dans les bronches !" pensa t-elle amusée... elle qui redoutait tant les malveillances d'Adèle et ne la portait pas vraiment dans son coeur.
Louise lui fit signe et Ophélie repartit vivement, intriguée par tout ce manège bizarre... Chacun se servit ! Un lourd silence plomba l'atmosphère....
Adèle toussota, le regard perdu dans les volutes de son thé, prit une longue inspiration et se lança :
"Je sortais de l'Ecole Supérieure de Secrétariat... J'avais à peine vingt ans et je venais d'être embauchée par Monsieur MAYER père, que tout le monde appelait Fred. Ce séducteur exerçait une véritable fascination sur la petite provinciale pauvre que j'étais à l'époque... Je suis tombée dans ses griffes ! Il me manipulait sans égards, sans aucune pitié.... tirant toutes les ficelles de ma petite vie solitaire..., dans une ambiance de violences verbales et de menaces... Je n'avais pas le sou ! Cet emploi était ma planche de salut. J'avais si peur de lui ainsi que de perdre mon travail... J'ai.... fini par céder.... et tomba enceinte très rapidement.
L'émotion lui noua la gorge. Il fallut tendre l'oreille tant sa voix s'étranglait :
"Il me proposa alors un marché : il s'occupera de l'enfant, à condition que je me taise et vive claustrée dans mon appartement jusqu'à l'accouchement... Il fera passer cet enfant pour sien et celui de ..... sa femme.... Il m'a obligée de prendre un congé maladie...
Cet homme, qui prenait tous les frais à sa charge, y compris mon loyer, me déstabilisait sans cesse... J'étais comme ligotée, enchaînée par cette grossesse qui m'empêchait de vivre décemment.... Je n'avais plus aucune chance de m'en sortir avec un enfant sur les bras sans emploi.... Je n'étais pas de taille à lutter contre lui !
Il se présentait comme un sauveur ! Il procurera une vie décente à ce bâtard qui, sans lui, ne pouvait prétendre à de hautes études.... Il ne souhaitait pas divorcer, vu sa situation professionnelle, mais continuera à me .... "protéger" en restant à mes côtés, ce qu'il fit une bonne partie de sa vie....
Je n'avais pas compris son désir d'enfant... son obsession d'avoir un héritier... J'ai...... accepté, pour l'enfant, afin qu'il ait une vie meilleure et plus confortable que la mienne.
Peut-on se pardonner à soi-même ? Je n'ai jamais réussi... Cette blessure n'a jamais cicatrisée.
Il m'a pris mon bébé ! Les premières années furent sordides. J'avais la sensation d'être en dehors de la vie, d'avoir perdu le droit au bonheur,...... l'âme rongée par l'injustice, par la honte, le doute, et la douleur.
De retour au bureau, j'ai élevé des remparts autour de ma souffrance... Fred était de plus en plus irritable envers moi... Il ne me supportait plus... Sa femme était jalouse... Mais ils avaient si peur que je parle, que je dévoile tout.... Alors il m'a gardée et m'a formée. Je suis restée des années claquemurée dans mon bureau avec mes notes, mes dossiers, mon travail... J'étais devenue indispensable ! C'était ma seule gloire !
Je vivais pour mon enfant qui venait parfois dans l'Agence avec son père ou sa.... marâtre... Une vraie vipère, cette femme ! Ça m'étouffait de le voir si peu heureux ! Ils m'ont broyé le coeur... Un coeur de mère qui ne cessait de pleurer!
Il n'y avait plus qu'une solution : rester à ses côtés, poursuivre mon oeuvre de Secrétaire de Direction dévouée auprès de lui... Je savais tout de leur vie, de leur vif souhait de le voir reprendre l'Agence paternelle... Mon fils regimbait, il avait d'autres projets, mais lui aussi à fini par céder devant les injonctions paternelles et les manigances de sa marâtre.... Ils reportaient sur lui toutes leurs difficultés de vie.... et celles de leur Agence...
Qu'il m'a fallut lutter pour ne rien lui dévoiler, même après la mort de son père ! Juste exister, lui être utile, et me contenter de ce qu'il me donnait... c'est à dire sa haine... Pour lui, je n'étais que la maîtresse de son père, une intrigante qui avait tant fait souffrir sa... mère, au point de la rendre insensible à son égard... Ça me dépassait ! C'était tellement injuste !
Il reportait sur moi toutes ses frustrations, ses désillusions... d'enfant mal aimé ! Son père ne voyait en lui que l'héritier ... qu'il élevait avec rudesse, autorité...
Damien, c'est le portrait craché de son père ! Quel étrange garçon aux manières si brutales, se moquant bien d'être loyal et juste... ou des lois... ou d'autrui ! Je savais qu'il menait une vie dispendieuse et vénale...se calquant sans le savoir sur celle de son père. Ma vie avait perdu tout son sens ! Il m'accablait de ses sempiternels sarcasmes, alors qu'il me laissait sans cesse l'Agence et ses problèmes sur les bras....
Alors quand Justine est venue, qu'il s'est entichée d'elle et voulait lui confier tout ce qui relevait de mon emploi, j'ai vu rouge ! Je lisais mon licenciement dans ses yeux ! Il me rejetait ! J'ai passé ma vie à l'observer en cachette.... Je devine tout de ses états d'âme... C'était si injuste, si injuste ..... Toutes ces années inutiles, arides, sans amour et sans tendresse... à ses côtés !
C'était comme si je mourrais ! Il se contentait de me concéder rétribution minable et acrimonie.... Sa hargne n'avait pas de limites.... C'était la plus grande violence qu'un enfant puisse faire à sa mère. Cet enfant est un invalide sentimental, voilà ce qu'en ont fait ses .... parents ! ........... Alors j'ai basculé dans l'irréparable ! "
Adèle haletait ! Son visage bileux et crispé transpirait la souffrance, la frustration, la haine, la colère qui la broyaient. De grosses larmes roulaient sur ses joues pâles... Elle se tût soudain.... minée par les émotions qui l'étourdissaient....
Elle but comme une automate son thé froid par petites gorgées colériques... Ses paroles percutaient encore le noir silence dans le bureau de son fils...
Louise comprenait et endurait sa peine qui résonnait si douloureusement en partie avec la sienne.... Elle sentit combien tout procès hâtif intenté aux autres n'incitait pas à l'indulgence, ni à la compréhension... Elle regretta vivement les dures paroles qu'elle avait proférées envers Adèle sans entretien privé préalable qui aurait pu l'éclairer et la guider... Elle servait bien mal la Lumière qui, pourtant, l'avait relevée...
Elle allait s'excuser, quand Adèle reprit d'une voix sourde la parole :
"Aujourd'hui, je suis à bout ! Mon petit agonise dans un hôpital et je suis si impuissante à l'aider... J'ai tout essayé pour le protéger et être à ses côtés. J'ai échoué ! Seule la honte surnage de tout ce naufrage... Je vous présente ma démission, Madame..."
"Adèle, je vous ai mal jugée ! Vous avez tant aimée... Veuillez accepter mes excuses, je vous prie ! Je suis sincère, Adèle... et vous demande de rester autant que vous le pourrez encore.... Votre peine rejoint la mienne ! Il nous faut, l'une et l'autre, retrouver la paix, la tendresse et peut être l'amour, qui sait ? Gardez espoir, Adèle ! Maintenant que vous êtes libérée du cauchemar qui vous ligotait, je pense que vous irez mieux et que vos relations professionnelles seront plus amicales... "
"Je confirme les propos de Louise, Adèle... Votre parcours de vie, tout comme Louise, rejoint le mien, qui n'a pas toujours été bien brillant, loin s'en faut !
Je suis le seul habilité pour l'instant à pouvoir congédier ou non toute personne de cette entreprise... Restez donc ! Il sera toujours temps d'y réfléchir si vous ne voulez pas poursuivre....
Bien, l'incident est clos ! Nous passerons sur toute cette lamentable affaire de lettres anonymes... Vous pouvez retourner à votre poste, Adèle... Nous avons beaucoup de travail pour pérenniser cette Agence...." trancha Stan, beaucoup plus ému qu'il ne voulait le laisser paraître, en la regardant droit dans les yeux.... "Si quelque chose vous tracasse encore, venez donc me trouver et n'agissez plus sur un coup de tête "
"Damien est sorti du coma depuis ce matin, Adèle....J'ai reçu des nouvelles de part mes hommes en place... Pour l'instant, il n'a pas encore retrouvé sa pleine conscience, ni la parole, mais le médecin a bon espoir.... Louise, je comptais t'en parler en privé dès que possible...." lança comme une bombe Dorian d'une voix d'outre-tombe.... Il n'avait pas l'air réjoui du tout du tout.....
Adèle, submergée par trop d'émotions, ne réagissait plus ! Elle se leva lourdement et s'en retourna lentement vers son bureau sans commentaire...
Louise accusa le coup ! A quoi s'attendait elle au juste ?
Luciole
A SUIVRE
ça mouille, ça mouille !
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ROMAN : "Gare à l'eau qui dort" - cliquez sur les phrases ci-dessous :
15 commentaires
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Par luciole 83 le 2 Octobre 2020 à 15:01
Gare à l'eau qui dort n° 32
ADELE COUPABLE ?
Symphonie n° 5 de Beethoven
Louise alla appuyer sur une touche intitulée "Adèle" de l'interphone et attendit :
"Oui, Madame la Baronne ? Je suis à votre disposition" susurra la voix doucereuse de Adèle."
"Entrez !" ordonna t-elle dès qu'elle entendit les légers tocs de la Secrétaire.... (Episode précédent; Cliquez sur la phrase !)
Adèle ouvrit doucement la porte et se présenta, obséquieuse, affairée, un bloc-notes à la main.
Elle stoppa net, interdite, devant le regard incisif et froid de Louise, le sourire narquois de ce prétentieux Inspecteur des Assurances, et, surtout devant l'aspect insolite, écoeurant, de cet inconnu dont la visière de sa casquette cachait mal le visage tuméfié....
"Qu'est-ce donc encore ?" s'insurgea t-elle silencieusement "Quelle journée pourrie !"
Elle sentit l'irritation l'enflammer, lui labourer la poitrine.... Une tension palpable flottait dans le Bureau de Damien.... Mais que faisaient donc tous ces gens dans ce Bureau ? De quel droit ? L'Inspecteur, passe encore, mais les autres ?
"Veuillez vous asseoir, Mademoiselle Adèle" lui enjoignit sèchement Louise en lui montrant le fauteuil libre, face à eux...
Ulcérée par le ton de cette femme, qui n'était que l'épouse de Damien, Adèle obéit instinctivement, consciente d'un danger qui rôdait autour d'elle...
"Est-ce un tribunal ?" s'angoissa t-elle soudain
"Mademoiselle Adèle" commença froidement Louise " Nous n'avons pas tenu à ébruiter ce fait, mais nous avons les preuves et les témoignages irréfutables d'une Kabbale orchestrée par vos soins contre une personne de l'Agence, mais également contre ma famille, contre moi... d'une part,
Et, d'autre part, le fait que vous tyrannisez les employés de l'Agence.
Ce sont des faits inadmissibles qui mériteraient votre renvoi immédiat, sans préavis !
Cependant, j'aimerais vous entendre à ce sujet. Je vous écoute !"
Adèle avait vu juste.... Un vulgaire tribunal à son encontre ! Elle prit soudain l'air malheureux d'un chien battu.....
Elle considéra, décontenancée, cet aéropage masculin, puis Louise, en paraissant souffrir furieusement...
Ses traits prirent une âpreté qui la vieillissaient terriblement !
Puis, brusquement, ses sourcils se rapprochèrent et ses yeux se durcirent ... Sa maigre figure s'altéra. Elle les regarda sans aménité...
"Ne me parlez pas ainsi, Madame le Baronne, vous me faites grand mal ! Je ne comprends pas vos accusations." dit elle enfin d'une voix cassante, glaciale.
Et de suite, elle se redressa de toute sa hauteur dans le fauteuil, les lèvres pincées et les yeux remplis de fureur.
Son visage s'empourpra violemment, s'enflamma d'une sourde rage presque tangible.
Stan, qui l'observait attentivement, fut stupéfié par la mobilité de ses expressions. Adèle pouvait passer de l'obséquiosité la plus vile à la colère la plus folle en un instant.
"Votre Kabbale se retourne tout simplement contre vous, Mademoiselle Adèle" susurra ironiquement l'Inspecteur qui, visiblement, s'amusait beaucoup aux dépens d'Adèle, en la fixant intensément de ses yeux jaunes....
Mouchée, figée, Adèle réprima un haut-le-coeur... Elle haïssait cette peur abjecte qui tordait ses tripes...
La perpétuelle raillerie de l'Inspecteur la déconcertait constamment, l'exaspérait au plus haut point... elle qui ne supportait pas la moindre contrariété...
Elle choisit de se barricader dans le silence. Inutile de négocier, elle se savait perdue, abandonnée de tous, seule, livrée à elle-même. Qu'aurait elle à gagner à essayer de se justifier ?
Mortification abominable. Après toutes ces années de fidélité à un poste mal rétribué, sous les sarcasmes de Damien perpétuellement en colère, à gérer comme elle le pouvait les nombreux conflits entre les jeunes loups prétentieux, jamais satisfaits.... à subir les jalousies perverses des employés convoitant son poste... les différents houleux avec les clients qu'il fallait trancher seule, car le Patron, trop occupé, souvent absent, refusait de les prendre en charge.. avec la peur au ventre de se tromper, de manquer de clairvoyance..... Oui, vraiment, elle était une martyre !
Elle adopta une position de victime ! Il était très dangereux de vivre....
Face à ce silence obstiné, à ce conflit à la fois ouvert et larvé.... Louise hésita sur le parti à prendre, énervée, fatiguée...
Dorian décida de crever l'abcès ! Stan avait raison, il aurait fallu préparer cet entretien avant de le précipiter ainsi sans précautions.... Il sentit combien il était indispensable de garder Adèle, malgré son caractère ombrageux, son esprit et ses opinions étroites.... Malgré ses commérages, elle était encore utile à l'Agence.... Il fallait adapter leur attitude au caractère d'Adèle, et non l'inverse.... quitte à faire profil bas....
Il était dangereux pour Louise de s'en faire une ennemie jurée ! Adèle savait trop de choses, était au courant de tout, connaissait chaque employé et chaque client de l'Agence ! La haine n'apaisait pas la haine ! Il ne fallait pas laisser la situation s'envenimer davantage.... et de pérenniser ainsi une situation délétère.
Il était préférable de faire en sorte que tout le monde s'en sorte la tête haute... tout en adoptant une attitude de fermeté vis à vis de chaque employé de l'Agence...
Et manifestement, la démarche de Stan visait à mettre sous pression Adèle afin qu'elle donne sa démission.... Un vrai parano, cet Inspecteur !
Il fit un signe à Louise, qui comprit et acquiesça de la tête, visiblement décontenancée....
Dorian préféra adopter une attitude bienveillante, afin de favoriser le dialogue.... Il fallait ménager l'orgueil et les susceptibilités de la Secrétaire.... pour établir une relation cordiale avec elle.
Il avait l'habitude, avec tous ses gars à gérer, particulièrement belliqueux et fort en gueule, quand ils s'y mettaient.... Un atout majeur pour lui dans cette lamentable affaire dans laquelle Louise effectuait ses premiers essais de manager... De sa voix rauque, il murmura doucement :
"Dorian, détective privé au service de Monsieur le Baron... Désolée de vous imposer mon apparence malmenée par des loubards.... Je vais devoir faire avec pendant un bon moment ,avant que mon visage ne redevienne un peu plus agréable à voir... Je suis plutôt beau garçon dans mon état normal...."
Permettez moi de vous féliciter d'avoir su gérer une situation particulièrement bancale pendant l'absence de votre Patron, avec l'aide efficace de Justine. Vous vous complétez admirablement, toutes les deux et vous avez fait un excellent travail !
Il faut reconnaître que votre Patron vous a laissée souvent gérer seule de ce qui relevait uniquement de son domaine.... Bref, il ne s'est pas montré à la hauteur de son rang et de son rôle de dirigeant... Ce n'était pas à vous de prendre en charge la direction d'une équipe...
De plus, il a manqué d'empathie et de compréhension envers vous, ainsi qu'envers Justine.... tout en s'attribuant pour lui seul tous les mérites de vos réussites et de celles de Justine..., n'hésitant pas à rejeter sur toutes les deux les responsabilités des échecs inhérents à toute entreprise....
Toute cette mauvaise gestion de sa part a lourdement impacté vos relations de travail, entre lui et vous, entre Justine et lui, et surtout entre Justine et vous.... Il vous a littéralement dressées l'une contre l'autre, alors que vos qualités sont complémentaires.... Son mauvais management a divisé toute l'équipe sous ses ordres.... favorisant ainsi les commérages, les dissensions...
Comprenez-vous, Mademoiselle Adèle ?"Adèle, ahurie, regardait presque avec sympathie ce nouvel allié inattendu... malgré sa répugnance pour son visage salement amoché.... Un détective privé ? Aux ordres du père de Madame la Baronne ? Mais qui était donc le Patron, désormais ? Elle s'y perdait ! Cristallisée sur ce nouveau problème, elle resta tendue, méfiante... et obstinément silencieuse. A vrai dire, elle ne savait que penser ???....
Louise admira sincèrement l'habilité de Dorian à les sortir de ce pétrin, de cet entretien si mal engagé.... dont elle portait toute la responsabilité ! En son for intérieur, elle se promit de mieux écouter les conseils de Stan... bien que celui-ci observait Dorian avec stupéfaction.... visiblement fort mécontent.
Dorian empiétait gravement sur ses prérogatives... Stan opta pour un silence prudent, tout en observant avec une grande attention les progressions de sioux de cet homme rusé.... qui devait savoir rouler dans la farine plus d'un quidam placé sous sa surveillance.... Stan, qui n'aimait que les situations claires et nettes, sans bavures et sans compromis, détestait ce genre d'individu louche qui louvoyait comme serpent dangereux sous les eaux sales d'une humanité déchue....
Après avoir reconnu l'importance de la charge de travail d'Adèle, Dorian s'orienta subtilement vers ce qui l'intéressait et pourrait enfin dénouer le vrai noeud du problème d'Adèle et, par conséquent, les relations conflictuelles entre tous.
"Quand on est patron ou dirigeant, il faut toujours veiller à être juste, et de tenir sous son autorité tous les employés d'une façon égale.... Et je sais combien votre patron était un mauvais boss sur ce point ...
Et malgré cela, malgré toutes les tensions fort désagréables avec lui, vous avez décidé de rester sa collaboratrice, Mademoiselle Adèle... alors que vous auriez pu facilement passer à la concurrence qui, peut être, aurait eu plus de considération envers vous et votre travail... Pour quelles raisons ?"
Adèle dut faire un effort surhumain pour surmonter le violent malaise qui la saisissait brutalement... La peur grelottait dans ses entrailles.... Un émoi inextricable la violentait... Où voulait il en venir, cet olibrius bizarre qui se disait détective.... un détective, ce qui signifiait qu'il farfouillait aussi bien dans les consciences que dans les vies de chacun... Atterrée par l'évidence, elle se recroquevilla sur son lourd secret....
"Mademoiselle Adèle" poursuivit inexorablement Dorian "nous connaissons votre drame.... D'après les papiers administratifs et hospitaliers vous concernant, vous êtes la mère biologique de Damien.... n'est ce pas ?"
Le visage de la Secrétaire se crispa violemment... Un rire strident de hyène montra ses dents jaunies par les éternels viandox dont elle se gavait à longueur de journée...
Louise ressentit une honte terrible lui nouer le ventre... en voyant Adèle, livide, qui les considérait avec des yeux étranges, hallucinés... Son visage, soudain secoués de tics nerveux, exprimait une souffrance et une tension intérieure insupportables...
La colère de Louise se fracassa sur le désespoir infini, évident, de celle qu'elle considérait comme une ennemie...
Adèle sembla se dégonfler soudain... Elle émit toutes sortes de gloussements étouffés et se mit brusquement à pleurer... Effondrée dans le fauteuil, le visage caché dans ses mains, elle hoquetait violemment...
Luciole
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