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Gare à l'eau qui dort n° 29 - Inspecteur Stan Faure
Gare à l'eau qui dort n° 29
Inspecteur Stan Faure
Impromptu de Claude Debussy
Un vertige s'empara de Louise en arrivant sans encombre dans l'immense Hall de l'Agence d'Assurances, étrangement vide et silencieux à cette heure matinale.
Seules ronronnaient les machines à boissons.
Armée de son trousseau de clés, elle ouvrit la porte du vaste bureau d'Adèle, une pièce chic et fonctionnelle aux murs d'un gris satiné mouluré égayé de tableaux résolument modernes et d'éléments de rangements bleus, dans laquelle le bureau bleu d'Adèle, flanqué de trois ordinateurs, prenait une place importante....ainsi que son fauteuil ergonomique en cuir gris clair, adapté au dos fragile de la Secrétaire de Direction... L'endroit sentait bizarrement la soupe et le désodorisant, le déodorant fleuri et le cuir du fauteuil et des chaises... Louise n'osa pas ouvrir les baies, tant elle eut peur de déclencher une alarme...
Puis , le coeur battant la chamade, elle ouvrit la porte du bureau de Damien, dans lequel flottait encore les fraîches fragrances épicées de son parfum Bleu de Chanel qu'elle lui avait offert...
Moment très difficile à vivre ! Une boule d'émotions violentes lui serra la gorge, lui comprima le coeur. Elle s'était tellement investie dans ce lieu.... en transformant d'une façon spectaculaire un immense espace blanc sans âme en une subtile harmonie de gris clair et de gris foncé, de gris foncé légèrement bleuté.
Elle inspira profondément et entra dans ce lieu de vie agréable et confortable, véritable havre de paix où se libérait le mental, favorisant le calme et la concentration au coeur du vaisseau de verre contaminé par le stress et l'agitation.
Intemporel et indémodable, le gris était sa couleur de prédilection, surtout lorsqu'il s'associait à des couleurs plus soutenues.
Pour capitaliser sur la lumière du lieu et briser l'uniformité, les murs s'habillaient de panneaux d'un gris bleuté, soulignés délicatement de bandes d'un gris nacré très clair, afin de créer des contrastes en résonance avec les panneaux muraux des châteaux.
Des appliques murales élégantes et raffinées, dont la fine structure en épi de fils de laiton s'ornait de tulipes d'opaline, illuminaient un panneau sur deux...
Le tout avait un aspect feutré très "aristocratique" dont raffolait Louise qui aimait mélanger les styles et les époques.
Sur les plans, Louise avait travaillé tout spécialement le plafond avec des encastrements appelés "caissons" au charme rétro qui apportait beaucoup de caractère à l'immense pièce. Dans les caissons, de superbes suspensions en fils de laiton et verroteries, entourées d'un abat-jour gris.... ajoutaient à l'élégance bourgeoise du lieu...
Pour dynamiser davantage la pièce, des leds s'encastraient discrètement dans les plafonds, et des lisérés de lumière douce soulignaient délicatement les encastrements.
Un meuble bibliothèque gris clair optimisait en partie le mur du fond et comportait deux parties... Sur chaque extrémité d'un meuble bas fermé où dormaient les dossiers importants s'élevaient deux colonnes bibliothèque qui formaient entre elles une niche éclairée d'un magnifique tableau-champêtre derrière lequel se dissimulait un coffre-fort.
Devant la bibliothèque s'alignait l'imposant bureau de Damien. Un plateau de bois gris clair reposait sur deux colonnes de tiroirs de la même teinte... Un panneau en claire-voix d'un gris foncé fermait discrètement l'espace extérieur entre les colonnes, afin de dissimuler les jambes de l'occupant.... Le bureau était flanqué du luxueux fauteuil cuir ergonomique au design moderne élégant gris foncé qui faisait face à deux fauteuils confortables en cuir de la même couleur prêts à accueillir les clients.
L'immense espace servait d'écrin également à un coin-salon au look contemporain qui recevait collaborateurs et visiteurs en toute tranquillité, et s'intégrait parfaitement à l'ensemble....
Louise avait joué avec toutes les différentes notes de gris pour cet espace empreint de douceur. Le canapé en cuir gris clair, s'agrémentait de coussins dans toutes les teintes de gris. Le gris foncé et bleuté des fauteuils se mariaient avec élégance à l'anthracite de leurs coussins.
La table basse en bois gris nacré, très lumineuse, apportait à l'ensemble une vive touche de gaîté.
Les panneaux du mur du fond, de chaque côté de la bibliothèque, s'ouvraient discrètement côté gauche sur la salle d'eau avec douche et toilettes, côté droit sur une petite cuisine avec micro-onde, plaques de cuisson, machine à café et rangements intégrés.Les deux pièces communiquaient entre elles pour optimiser le confort....
La salle d'eau et la cuisine reprenaient les codes couleurs de l'espace bureau-salon, pour apporter de la luminosité à ces espaces aveugles.
Louise avait fini par bouder depuis des années ce lieu de vie chaleureux et cosy, où s'entremêlaient souvenirs délirants et joyeux de jeune mariée profondément amoureuse de son mari, la tête farcie de rêves et d'avenir, et souvenirs pénibles d'une femme meurtrie par la cruauté et l'indifférence d'un mari infidèle....
Refoulant les sanglots, elle s'effondra dans la banquette.... Solitude poignante devant l'irrémédiable de sa situation... Conscience profonde de l'humilité de sa position actuelle.... Elle était bien loin de l'ivresse des sommets ...
Toute sa vie dépendait de la bonne marche de cette Agence...
Elle s'ouvrit au silence comme à une nécessité...
Puis elle entendit des voix, des rires, des claquements de hauts talons. Le vaisseau de verre s'éveillait !
Elle chassa vivement tous les relents de nostalgie et de marasme de son esprit, se leva et alla s'asseoir sur le fauteuil de Damien... qui était déjà le sien... et s'aperçut que les ordinateurs de Damien avaient retrouvé leurs places sur l'immense bureau...
Elle les alluma et supprima patiemment tous les codes confidentiels qui bloquaient les entrées dans les machines infernales...
Il était temps pour elle de faire de ce bureau luxueux un espace de travail productif, tout en étant entourée des meubles, d'objets, de couleurs qui la ravissaient....
Elle éprouva soudain un étrange sentiment de gratitude qui la bouleversa, puis la calma et la rassura... La Lumière l'accompagnait, elle en était certaine !
Il était temps de se vider la tête, de respirer tranquillement quelques instants, selon la méthode de Tom, afin de permettre à son esprit de passer plus facilement en mode travail...
La porte s'ouvrit à grands fracas sur un duo de choc : un homme furibond, quadragénaire athlétique et svelte d'au moins un mètre quatre vingt dix, qui dégageait une autorité et une impression de force impressionnantes, ainsi qu' Adèle, profondément stupéfaite et réprobatrice :
"Vous, Madame la Baronne ?..." bredouilla la Secrétaire dont le visage grimaçait une accusation muette "comment se fait-il ?"
Louise comprit de suite qu'entre cette femme sournoise, implacable, et elle débutait une lutte acharnée..... Elle la congédia d'un ton sec qui décourageait toute tentative de pérorer plus longtemps :
"Merci Adèle, je vous appellerai plus tard.... Monsieur ?"
"Inspecteur Stan Faure" répliqua l'homme aux cheveux bruns, courts et soigneusement laqués, qui la fixait de ses yeux verts virant par moment sur le jaune "Votre père, Madame le Baronne, m'envoie remettre de l'ordre dans cette Agence... Je ne m'attendais pas du tout à votre présence ici... Je vous croyais sévèrement malade et alitée....
Est-ce raisonnable de votre part de venir si rapidement sans prendre le temps d'une convalescence indispensable à votre état ?......"
L'ironie du ton et le sourire narquois frappèrent Louise en plein coeur... Cet homme était manifestement en colère et l'examinait sans aménité.... Elle ne s'était pas préparée à un rude combat aussi rapidement avec un inconnu déjà mis en place par son père...
Son rêve, avorté avant même de naître, mourrait en elle... Père était diablement efficace ! La Lumière lui avait elle menti ? S'était elle illusionnée ?
Elle s'efforça de surmonter son désarroi et lui fit face.
L'homme, sans attendre sa réponse qui tardait, traversa tout le salon et vint s'asseoir en face d'elle....
"Café, thé ?" le cueillit de plein fouet le ton autoritaire mais bienveillant de Louise, qui opta pour la Lumière qu'elle sentait vivre en elle....
Surpris, l'homme aux traits taillés au couteau sourit, étrangement séduisant... heureux de la diversion qu'elle lui offrait si vaillamment... Sa voix fut un peu moins assurée :
"Café, je vous prie ! merci"
Louise avait gagné ! Elle jubila et une action de grâce monta vers la Lumière qui l'avait si bien inspirée.... Elle retrouva soudain une pleine maîtrise d'elle-même...
Elle le terrassera de ses bonnes manières, cet ours mal léché, comme elle savait si bien le faire avec ses invités lors des repas mondains avec tout le gratin de la Société dans le Domaine pour le compte de Damien... Cette fois ci, ce sera pour elle ... et l'Agence !
Luciole
A suivre
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« Gare à l'eau qui dort n° 28 - Prodigieuse LumièreGare à l'eau qui dort n° 30 - Etrange entretien »Tags : Bureau, décoration, émotion, luminosité, souvenirs, solitude, Inspecteur assurances, sarcasme, ironie, Roman 1, aristocratie, épouse
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Commentaires
9VictoriaVendredi 18 Septembre 2020 à 16:48Bonjour Luciole, j'avais raté ce chapitre. J'aime beaucoup la description que tu fais du bureau avec les couleurs tendances actuelles. Mais ce que j'apprécie par dessus tout, c'est la volonté qui anime Louise enfin prête à reprendre sa vie en main. Je file à la suite
Louise semble bien décidée à reprendre sa vie en mains . Elle a réussi à déstabiliser l'adversaire!
Bonne journée
Rudement efficace pour désarçonner l'adversaire , la proposition café , thé . Louise semble avoir les clés en mains malgré l'adversité pour mener à bien ce qu'elle a décidé .
Bonne journée et bonne semaine
Bises
J'aime beaucoup la description de l'ameublement !! On s'y croirait!!! Et quand au "self control" de Louise.....chapeau!!!!!!! Bises
3gazouSamedi 12 Septembre 2020 à 19:44Bien joué la proposition : café ou thé. Bon week-end. BisousLouise a eu raison d'employer un ton conciliant vis à vis de cet ours mal léché, cela désarçonne souvent !
Bises et bon weekend
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Un sacré face à face, Louise a du répondant, bravo à elle et bravo à toi pour les descriptions très réussies, l'atmosphère qui prend aux tripes...
Bon courage pour ta piqûre dans l'oeil, j'espère que tout ira le mieux possible...
Je pense bien à toi tu sais!
Gros bisous Luciole et amitiés chaleureuses
Cendrine