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Gare à l'eau qui dort n°58 - La violence des Mots !
Résumé :
La toute jeune rivale de Louise, Agathe, bientôt 18 ans, incapable de subvenir à ses besoins
et à ceux de sa petite Daisy de 2 mois, fille de Damien, mari de Louise
est soudainement hébergée par Louise dans son "Château",
véritable "Arche de Noé" dans laquelle elle découvre peu à peu les Résidents....Profondément chambardée par le luxe inouï du Domaine de Louise,
elle est traversée par de violentes émotions contradictoires.Elle ne tarde pas à s'apercevoir que le passé de Maminou, grand mère de Lou, la fille de Louise,
ressemble étrangement au sien. Maminou la prend en charge dès son arrivée et se dévoile.
Ses confidences percutent Agathe et confirment ses intuitions !Malgré sa vision humaniste de la vie, Louise reste distante ! Sa tolérance a des limites,
celles dictées par les raffinements subtiles de son éducation aristocratique...,
Elle reste subordonnée à ses riches Parents.
Cependant, elle réussit brillamment à remonter l'Agence d'Assurances de son défunt mari
Dont elle était principale actionnaire conjointement avec son Père...
Tout comme Mme Mère, elle a un faible pour le champagne !Le Père de Louise, intransigeant et autoritaire, est le véritable propriétaire du Domaine, qu'il entretient à grands frais Louise restera toujours sa "Fille Unique" à garder sous cloche tant qu'il vivra et il n'en démordra jamais !
Bizarrement, Louise, aussi volcanique et autoritaire que son Père, redevient petite fille en sa présence...
Ce Père tyrannique n'a d'estime que pour sa petite fille Lou, génie de 12 ans dotée d'une intelligence extraordinaire
Nul ne sait d'où vient son immense fortune !
En réalité, la Fortune amassée par ses Ancêtres habilement placée en Bourse par ses soins
La Bourse et le Marché économique mondial représentent le "pied d'argile" de ce colosse au coeur dur,
Qui entretient avec un soin jaloux ses relations mondaines,
Momentanément mises en veilleuses à cause des magouilles insupportables de son défunt gendre...La mère de Louise, surnommée "Mme Mère" par Louise, est une femme égoïste et glaciale,
Qui n'aime que les voyages, les plaisirs, les réceptions, les attentions dues à son rang... et elle-même !
Elle se révèle très vite comme une personne rigide, ennuyeuse, tracassière, secrètement alcoolique...
Mais Mme Mère vieillit mal et se trouve laide !
Elle décide brutalement de rester cloîtrée dans son sublime "Ermitage"
et ne consent à en sortir que pour les "Dîners de Louise"Le soir de l'arrivée d'Agathe et de Daisy dans le splendide Domaine, Louise reçoit ses Parents !
Le Dîner, d'ordinaire joyeux, est houleux, au point de réveiller Agathe en sursaut !Agathe guette les mots qui viennent du "Monde d'en-dessous" (rez de chaussée)
et s'aperçoit avec fureur qu'on parle d'elle dans des termes peu flatteurs !
Effondrée, elle retourne dans "sa chambre", celle allouée par Louise,
et perd toutes ses illusions, celles "d'une vie meilleure".....LA VIOLENCE DES MOTS !
Mozart Symphonie 31 in D Major
Agathe voguait avec sérénité dans un univers sans cesse en mutation dans lequel elle se sentait grain de poussière d'étoiles, à la fois unique et multiple, infime et tout puissant... lorsque des miaulements rauques la tirèrent brusquement de cette soupe originelle... Une volée de cloches tintait au loin, puis la vibration brève d'un bourdon, suivie de sept autres. Machinalement, elle compta : Huit heures ? Huit heures de quoi ?
Affolée, elle chercha la tirette de la lampe, ordinairement située juste au-dessus de sa tête... et ne trouva rien ! Encore entre deux eaux d'où elle émergeait difficilement, elle se rappela soudain qu'elle n'était plus dans sa cellule du CEF, mais quelque part dans "le Château de Louise"... Il lui fallut du temps pour se remémorer les détails de sa nouvelle chambre ! En tâtonnant avec mille précautions prudentes - fallait pas casser les bibelots de de luxe de Louise, holàlà ! - elle parvint à allumer la lampe de chevet sans la faire tomber.... Ouf !
La petite Daisy ne braillait plus ? Les cloches peut être ? Dans le CEF, on disait que ce bruit était destiné à éloigner les mauvais esprits et les revenants.
Les ondes se propageaient encore dans l'air vibrant. Bah ! elle n'avait pas peur des fantômes ! Si seulement sa maman voulait bien se donner la peine de venir la voir... Ce ne serait pas de trop, quand même ! Elle l'appela doucement, avec force : "Judith ?... JU-DiTH - JU-DITH !" Rien ! C'était désespérant ! Elle se leva avec peine, enfila sa trop longue robe de chambre et ses mules et se rendit vers la porte fenêtre de gauche, tout près de la porte de la chambre de Daisy...
La nuit tombait progressivement sur le Parc, tandis qu'une Lune énorme se levait frileusement à petits bonds gracieux en allumant un fourmillement d'étoiles... Les étoiles de son rêve !!! ça alors ! Elle la regarda avec émerveillement, prit conscience de "ses yeux", de "sa bouche" qui lui souriait d'un air complice... On dirait un gigantesque émoticône un brin taquin ! "çui qui fait d'l'oeil !"...
Formidablement émue, Agathe se mit à rire doucement.... Elle se sentait moins seule ! La lune était son amie... Il lui sembla baigner dans un Océan d'amour illuminé de petites lumières scintillantes.... Un état de grâce l'envahit pour la première fois de sa vie...
"C'est trop trop top, trop trop... grandiose, toussa ! Mortel, quoi ! Comme dans mon rêve ! Et moi, j'suis un grain d'étoile... Un bébé étoile ? Un futur bébé d'humain ? Y paraît qu'la vie vient des étoiles ? C'est Mylord qui disait ça ! Dire qu'il est là haut, çui là ! L'en a d'la veine ! P't'être avec ma Maman ? Pas glop, c't'idée bizarre ! Sûre qu'il va la draguer ce vieux... Bon, c'est pas bien dire du mal des "âmes", ça porte malheur !
Oooh, une étoile filante ! Alors ça, c'est trop chou ! Merciiiiiii !" cria t-elle vers le Dôme lumineux avec une immense reconnaissance....
Une pensée bizarre la traversa : "Ma Chérie, la vie triomphera !"... ???... ça veut dire quoi, ça ? Quelle vie ? La sienne??? Celle de Daisy ???.....
"Maman ? C'est toi ?.... Maman ? C'est toi, l'étoile filante ?... Bah, réponds, quoi ! T'en as d'drôles de façons d'm'dire : j'taime ! j'comprends rien, moi ! Merci quand même ! j'demanderai à Maminou... Elle en sait des choses, Maminou.... Moi, j'suis nulle en tout ! ça vient du père, pas doué le père ! C'est un "vaut-rien" !!! Et toi, M'man, t'étais comment ? Pourquoi t'es morte ???
"Maman ??? T'es là ? Mamaaan, alooors quoi ???"
"Rien ! Bon, C'est un début ! Y'en aura d'autres, hein, M'man ?!....... P'tite Maman d'amour ! tu vois, moi, j'te l'dis, je-t'ai-me ! C'est pas compliqué, ça, non ?! ça, j'comprends !"
Elle attendit, toute ouïe, le coeur battant, mais non, rien... rien de rien ! C'est étrange, quoi, c'est "v'nu" quand elle biglait dur la Lune ?! Et pis y'a eu comme une étoile filante... Y'avait comme une..., une... ? Elle ne trouva pas le mot adéquat ... "Enfin, c'est lié, toussa, quoi !" Elle se promit de recommencer les nuits suivantes.... On n'sait jamais !
Elle médita un instant sur ce drôle de phénomène, elle qui avait tant attendu ce moment là ! Et se rendit compte à quel point elle avait été heureuse en contemplant le ciel, la lune, les étoiles... P't'être que "c'est v'nu" à cause de ça ? Jamais elle avait eu cette idée de regarder le ciel ainsi... "C'est trop tuant, toussa ! Mortel oui !ça m'dépasse !" (c'est trop magnifique, énorme, toussa ! Au point d'en mourir, oui !)
La clarté argentée de la lune rejaillissait sur la pelouse et la verdure du Parc, s'ébattait en mille scintillements sur le "Lac"... Toute cette Beauté lui piquait les yeux de larmes ! Elle était bouleversée !
Elle ouvrit la fenêtre, sortit en frissonnant sur la sublime terrasse, et huma l'air frais à pleins poumons... "ça sentait rud'ment bon l'herbe mouillée !" Les fleurs du Parc embaumaient.... Bruissement des arbres... "On dirait qu'y s'parlent ?"... Puis progressivement, la nuit argentée engloutissait les ombres et levait de lumineuses clartés laiteuses... "C'est comme un gros projecteur, c'te Lune !" s'enthousiasma la jeune femme en reniflant sa joie.... "Un vrai décor de contes de fées à couper l'souffle ! ça m'fait comme un grand bordel dans ma tête ! Et pis dans mon coeur aussi ! C'est dingue, toussa !"
Une vive lueur illuminait le dessous du balcon... Elle se pencha, au risque de basculer.... "ça doit v'nir des fenêtres du bas ! n'ont pas fermé les volets ! ça coûte un max de laisser la nuit r'froidir tout l'Château !
"Z'en font un rafus, en-d'ssous ! ça jacte dur ! on dirait qu'y s'engueulent !... "
Mais les lourdes fenêtres ne laissaient pas filtrer les mots ! Elle écouta... et ne comprit rien ! Juste comme une vague de bruits qui claquait à grands coups sur les vitres par moments... y'a du monde !
Elle retourna vite dans le silence de la chambre ! ça "caillait trop, dehors !"
Elle ne savait plus comment on fermait les volets avec la zapette ! Trop de dessins ! Tant pis ! Elle la reposa en soupirant sur la table de nuit... Pourvu qu''ils" lui ferment les volets, sinon, elle pourra pas dormir !
Alors, comme ça, il était vingt heures et même plus ! Elle regarda son réveil : Vingt heures trente... !!! Comment ça s'fait qu'on la laissait toute seule, dans l'noir ? Elle avait comme des creux à l'estomac ! Y voulaient la laisser mourir de faim ? Y l'avaient oubliée....!!! ça commençait bien ! Fallait p't'être descendre ? Bah, j'ai rien d'propre ! Y m'ont pris toutes mes fringues ! Elle hésita !
Le couloir la journée
A pas de loup, elle s'approcha de la porte, l'ouvrit tout doucement, et se retrouva, ahurie, projetée dans la fraîcheur d'un couloir faiblement éclairé par des leds à intensité variable encastrés dans le plafond et par un chemin lumineux sécurisant d'une grande élégance dissimulé dans les plinthes du couloir ....."ça alors ! C'est ouf ! tu peux même te balader la nuit sans allumer...." Le souffle coupé, saisie d'admiration, figée devant une telle débauche de luxe.... "Non mais,.... c'est pas possible, quoi ! C'est Byzance, ici !", elle tourna sur elle-même pour mieux contempler, puis brusquement intimidée, écrasée par tout le faste tamisé du couloir, se recula prudemment dans la chambre, de peur d'être vue, entrebâilla la porte, le coeur en vrac, et écouta les voix... en resserrant frileusement sur elle les pans de sa robe de chambre...
"Comment j'vais faire pour vivre dans c'Palais ? Suis pas une poussière d'étoiles, oh ça non, plutôt un microbe, oui, une mouche à merde qu'a rien à faire ici et qu'on écrase avec la tapette ? C'est pas mon monde, ça !......
Sa voix intérieure faisait un boucan terrible !
"P't'être Daisy ??? Oui... mais... ma fille se moquera d'moi, plus tard... Elle voudra pu d'moi... Elle aura la honte d'sa mère.... "
Effondrée, elle préféra se brancher sur "le monde d'en bas" ! On pensera plus tard !
L'agitation qui régnait "dans le monde d'en bas" tranchait violemment avec le calme impressionnant de la chambre illuminée de lune.... Elle prit conscience que "l'adrénaline flambait, là-d'ssous ! Un vrai poulailler ! y'a une bagarre ou quoi ?"
Des bagarres de rue, ça elle connaissait par coeur et savait comment faire, mais des bagarres de riches ? Mais pourquoi ça s'bagarre, les riches ? Y z'ont tout !!!Mystérieux rez-de-chaussée d'où venaient les sons des voix qui voyageaient en grondant jusqu'à elle, par le biais de la cage d'escalier faisant office de caisse de résonnance... Dommage, le couloir était trop long... Il en bouffait beaucoup au passage !
Certains se refermèrent sur son coeur comme des serres d'oiseaux de proie... Elle comprit qu'on parlait d'elle... Et fallait voir comment !!! Ah les salauds ! Elle se risqua à progresser à pas de sioux vers les sons dans le couloir en maudissant toute cette lumière... et écouta attentivement ! Louise s'empêtrait dans des explications rageuses... Même qu'elle s'y prenait très mal ! On dirait qu'elle pleure ses mots comme une gamine en faute ! Maminou avait une drôle de voix cajoleuse, racoleuse, qui racontait son histoire, son intimité à elle, Agathe, en veux-tu en voilà !....
Sans blague ! Y z'avaient qu'à la faire descendre toute nue, pendant qui z'y'étaient ! Une voix d'homme tonnait comme un tonnerre, on dirait celle d'un grand chef de bataille...., une autre voix aigrelette, pire qu'une casserole qu'on gratte avec une fourchette, grelottait des mots dégueulasses... Celle d'une petite fille essayait de surpasser le vacarme en les exhortant de se taire... Des chut, chut s'amplifiaient et couvraient le tout...
Un silence lourd de menaces tomba sur Agathe qui tendit l'oreille... Elle avança hardiment... "C'est pu l'moment de faire ta lâche ! Tant pis si j'suis prise ! j'dirais qu'j'ai faim, non mais ! Y z'ont pas honte d'parler derrière mon dos, eux !" Pis....elle perçut une voix douce, onctueuse, qui prenait sa défense avec des mots remplis de tendresse... Des mots qui la bouleversèrent violemment ! C'étaient des mots simples, des mots de tous les jours ! Elle comprenait tout ! Ah comme elle l'aima, cette voix là ! "On dirait celle d'un vieux ??? C'était pas Toubib, j'l'aurais reconnu !"
Pis tout le monde se tut, car la voix douce les berçait comme des enfants qu'ils étaient... Bah ça, c'était un homme drôlement important, pour qu'on lui fiche la paix ! Pis la voix de la gamine dit d'un ton de commandement qu'il fallait écouter le "père", car il disait toujours la vérité ??? C'était p't'être un vieux "savant" ? Le père de qui ? En tout cas, la gamine avait du poids, car tout le monde se tut ! On entendait plus que le bruit des fourchettes, les va-et-vient de Ida et Elsa, qui disaient rien du tout !
Agathe se glissa doucement, le coeur battant, jusqu'au-dessus de la rambarde de l'escalier et les vit, Ida et Elsa, qui remportaient les plats et en ramenaient d'autres... Elles avaient la tête des très très mauvais jours !
Ida surtout... On dirait qu'elle allait exploser ! Elle tirait une tronche de qui voulait tuer ! Agathe comprit qu'il fallait pas la chercher, celle là ! Alors pourquoi elle disait rien ??? Pourquoi elle la ram'nait pas ??? Elle avait pas l'air d'avoir peur, pourtant ??? C'était une brave, Ida !
Elsa, si ! elle avait très peur, ça s'voyait ! Elsa avait une tête à chialer d'tout son saoul dans son coin ! Une tête à s'carapater vite fait bien fait ! Pas croyable qu'elle tremble comme ça... Agathe l'aurait pas crue si trouillarde ! Comment elle aurait fait dans le CEF où le couteau sortait au moindre regard d'travers ?
Agathe eut brusquement envie d'descendre et d'foutre un bordel monstre là-d'dans ! sûr qu'elle l'aurait fait depuis l'début si y avait pas Daisy ! ........ Son coeur cognait si fort qu'ils devaient l'entendre, les autres... j'suis une guerrière, moi aussi ! comme la gamine ! Sans blague !
Puis, heureusement, elle se rappela son coin-refuge-secret, dans sa cellule au CEF, où elle se terrait peureusement, accroupie, entre l'évier et le mur, avec le porte-serviette tout puant devant elle et ... se calma net, honteuse ! Bah, dans l'fond, elle était pas mieux qu'Elsa ! Elle se cramponnait tellement à la rambarde que ses doigts gelaient... Elle eut beaucoup de mal à les ouvrir un par un et se secoua les mains pour rétablir la circulation sanguine....
"Et comme y disaient pu rien", elle se traîna en silence dans l'immense couloir jusque dans sa chambre, ferma doucement la porte, se jeta sur son lit, et pleura toutes les larmes de son corps... jusqu'à la nausée.... Sans Daisy, elle se serrait jetée du balcon... Bon, la terrasse n'était pas très haute, p'tête trois mètres, et encore, elle se blesserait, pas plus ! ça y f'rait un mal de plus ! elle va pas s'tuer... ou pire s'blesser, pour des gens pareils !
Elle réalisa à quel point elle était liée à cette Famille, surement celle de Louise, encore plus qu'à Louise elle-même, vu sa façon d'être avec eux !
- Heureusement que Louise l'a défendue quand même, et la gamine aussi...
- Maminou ? d'une drôle de manière, avec des pincettes, et le p'tit doigt en l'air... Pis Louise aussi, dans l'fond ! Grosse découverte, choc violent, que Louise était encore une gamine...
-Mais alors qui était ce "père" à la voix douce, qui disait des choses si belles sur elle ?Elle réfléchit, le nez dans la couette mouillée ! Elle repensa à la petite voix de commandante de la gamine... Waouuh ! ça, c'était un vrai chef ! Fallait qu'elle devienne sa pote, celle-là ! Et tiens, le "père" aussi !
Bon, tu vois : tu peux t'faire des alliés, t'es pas toute seule !
Mais tous ses espoirs d'une vie meilleure se fracassèrent ! Bah, Daisy et elle n'étaient que "des charges pour tous"... un point c'est tout ! Fallait pas voir plus haut ! C'était c'que disaient, en gros, et en gentil, la voix du "Grand Chef" et celle d'la "Casserole" ! Et la forte impression que Maminou était "une charge aussi", toute grand mère de Lou qu'elle était ! On valait pas grand chose, toutes les deux, l'Adèle et moi.. et pis Daisy ! P'tête que Daisy pesait plus, c'est quand même la fille de Mylord ! ça pose, ça !
Elle prit conscience que sa fille avait réclamé et qu'elle attendait toujours ! Le médecin avait dit qu'il fallait lui donner la tété dès qu'la p'tite la réclamait... Et en plus, elle était une mauvaise mère... Pis faut pas qu'elle y aille avec une tête de misère, car sinon, ça gâte le lait !
Agathe se releva courageusement, se moucha bruyamment, jeta les mouchoirs dans la corbeille, respira plusieurs fois avec force au point de s'étourdir, et se rendit auprès de sa fille, alluma et s'aperçut alors que son bébé la regardait en silence avec de grands yeux terrifiés... Allons bon, z'étaient trop branchées, toutes les deux, pour se faire des menteries.... Pas la peine de s'déguiser !
Grand moment de solitude ! y comprend rien, le Toubib ! Grand môme aussi, çui-là, sous ses airs paternels ! Elle roulait dans sa tête des idées affreuses ! Ah, c'était bien pour Daisy qu'elle restera ! Et pis c'est tout ! Fallait bien !.........
Pis d'abord, c'était pas mieux, dans son monde à elle ! C'est la drogue et l'couteau, et les armes, c'était le viol, la prostitution, les coups et les mutilations qui parlaient haut et fort ! Et ça, c'était un monde vachement moche ! vachement dégueulasse, même que les vioques qui bavaient sur elle tout à l'heure valaient pas un clou, dans son monde à elle. Y f'raient pas d'vieux os, ces vioques là, même avec des voix de commandement... Non seulement on leur f'rait la peau, mais en plus on leur piqu'rait tous leurs sous et l'tralala avec ! Ah si elle app'lait Dirlo, y s'raient vite arrangés, tiens !
Elle ricana !
Mais y avait Daisy ! Fallait pas gamberger, sinon elles s'ront foutues pour de bon !
Elle prit délicatement sa petite, la serra contre elle en la berçant doucement et, pour la première fois, tenta de lui chantonner, bouche fermée, une petite mélopée de son cru.... La petite ouvrait de grands yeux étonnés et, pour la première fois, lui sourit largement de toutes ses rides de vieux bébé déjà fatigué de la vie....
Agathe s'aperçut soudain à quel point sa petite était maigre... et prit peur ! "Ma Chérie, la vie triomphera !" Elle comprit que c'était destiné à sa fille ! Mon Dieu, il fallait que sa p'tite vive, sinon elle était foutue, elle, Agathe ! Mon Dieu, faites qu'elle vive ! C'était pas une beauté, sa fille, mais c'était sa fille, quoi !
Elle la changea avec d'infinies précautions, avec des gestes tendres, le coeur chamboulé par le sourire bizarre de sa petite... On dirait une vieille pomme ! "Pour toi, ma p'tite crevure, je f'rais tout c'qu'elles me diront d'faire...même d'apprendre les belles manières, tu verras, tu s'ras fière d'ta mère ! D'accord; p'tit bout ? Mais faut qu'tu vives, sinon, j'me fous en l'air, compris ?"
La petite émit un gazouillis timide et agita doucement bras et jambes en souriant de son sourire bizarre de vieille pomme... Agathe fondit d'amour ! D'amour tout pur ! Enfin !
Elle la reprit tendrement dans ses bras, ramassa le plaid soyeux qui gisait sur le bras du fauteuil, le plaqua sur le corps de son bébé, alla se lover avec moults précautions dans le fauteuil, posa ses jambes lourdes sur le pouf, et donna la tété à la petite, en refoulant vigoureusement tout son ciel de misère pour ne pas gâter le lait.... Elle la recouvrit du plaid de sa main libre, et la regarda avec son trop plein d'amour qui se déversait soudain, comme si une brèche s'était ouverte dans son coeur gelé....
"Y'en aura que pour toi, voilà, ma p'tite crevure ! Et tant pis pour les autres.... y vont m'donner des vitamines, et tu vas péter la forme... tu d'viendras belle comme une pomme qu'on croque, tu sais, celles du marchand arabe qui les achète dès qu'on les cueille sur l'arbre.... tu verras ! ...il avait des pommes à s'pâmer devant ! Et ben, tous, y 's'pâmeront d'vant toi, mon p'tit loup ! J't'oublierai pu, promis ! j'vais t'chouchouter, tu verras !"
Et la petite téta, téta de toutes ses forces nouvelles, avec ténacité, pendant si longtemps qu'Agathe s'endormit !
Elsa frappa doucement ! Pas de réponse ! Surprise, elle ouvrit la porte, aperçue la lumière allumée et le lit vide... se rendit en hâte dans la chambre du bébé, et les vit toutes les deux endormies dans la bergère... elle faillit crier de peur ! La petite aurait pu rouler... Déjà qu'elle n'était qu'un souffle de vie ! Elle voulut retirer délicatement Daisy des bras relâchés de sa mère, mais la petite, brusquement réveillée, protesta avec toute l'énergie de son petit coeur... Agathe, hébétée, se rendit compte... Oh mon Dieu ! Elsa la regardait avec sévérité, le bébé braillant dans les bras !
"Daisy aurait pu rouler et tomber, Agathe ! Il ne faut plus recommencer ! Je sais bien que tu es épuisée, mais quand même, ce n'est pas à faire !"
Agathe avait le visage crispé et le regard dur comme pierre ! Elle se leva, arracha sa fille des bras d'Elsa, la berça doucement en lui chantonnant sa chanson d'amour, et la petite se tut en la fixant d'un regard immense, comme si elle voulait manger sa mère des yeux, et lui sourit... Agathe la déposa tranquillement dans le "drôle de berceau", tout en continuant sa mélopée... Et la petite se rendormit béatement sans rechigner...
Elsa se rendit compte que quelque chose d'énorme s'était passé entre elles ??? Agathe éteignit la lumière et se rendit prestement dans sa chambre, suivie par Elsa, fort surprise de son silence buté...
- "ça va, Agathe ? Tu es toute chose !"
Agathe la fusilla du regard... Un regard perçant qui fit grand peine à Elsa :
- "Très mal !Très très mal !"
La bonne Elsa, foudroyée, crut que la gamine était colère après elle pour l'avoir oubliée... elle lui chuchota :
- "Je t'assure, Agathe, que je suis venue te porter ton plateau vers les sept heures, mais tu dormais si bien que je n'ai pas voulu te réveiller !"
- "J'm'en fous, j'ai pas faim !"
- "Holà, doucement, la gamine... Ne me parle pas ainsi ! Je suis venue en amie, moi !" la rudoya Elsa, qui sentait que quelque chose lui échappait... quelque chose de grave....
- "Veux tu me faire confiance ? Raconte moi ce qui ne va pas ! Tu sais bien que ça restera entre nous...."
Agathe lui faisait la mauvaise tête ! Butée comme un âne qui refuse d'avancer... les yeux remplis de haine... La généreuse Elsa en avait le coeur retourné... Tout d'un coup, Agathe explosa avec une violence contenue, de peur de réveiller sa petite :
- "Tuuu parles comme t'es une amie, toi !!! Tu l'as ramenée, ta fraise, t'à l'heure, quand les autres balançaient sur moi des choses dégueulasses ??? D'abord, qui c'est, ceux là ??? Et Maminou, qu'est-ce qu'elle avait à faire sa sucrée comme ça, hein??? Et Louise qu'était pleurnicharde comme une môme, hein??? C'est ça, "Mâdââme" ???? ça fait l'orgueilleuse, ça r'garde d'en haut le p'tit peuple, et c'est rien qu'une p'tite fille !!! Encore une chance qu'y'avaient le vieux et la gamine, hein, sinon j'étais foutue... et Daisy aussi ! T'y a pensé, à Daisy, en fermant ta gueule ! T'es qu'une boniche pour richards, et c'est tout ! Moi, j't'aurais défendue... et même en gueulant plus fort qu'les autres, comme la gamine ! T'as rien fait ! Rien ! Et ça, c'est pire qu'les conn'ries d'bourges d'Adèle et d'Louise.... Et d'abord, qui c'est, le vieux qu'à une voix douce ? çui qu'on appelle le "père", hein ?.... ".......
Les mots s'étranglèrent dans sa gorge serrée... Agathe se mit à pleurnicher doucement, comme pleurent les petits chiots qu'on retire à la mère.... Elsa lui plaqua un paquet de kleenex sur la bouche, pour étouffer ses petits cris alarmants et, soudain, la prit dans des bras fermes, sans prêter attention aux mouvements brusques de la "gamine" qui se débattait comme un beau diable... Agathe finit par se calmer et se laisser aller sur l'épaule de son amie en hoquetant ! Elsa l'embrassa tendrement sur la joue mouillée, la berça comme un bébé :
- "Chut, chut, là, là ! doucement, ma belle, doucement, là, là... ça va aller maintenant, on va s'expliquer, toutes les deux, d'accord ! Je te dis tout, et toi, tu m'écoutes, hein ?! Là, c'est fini, c'est fini !"
Luciole
A SUIVRE
28/05/2021 : 153 visiteurs et 5291 pages lues
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Tags : Roman 1, aristocratie, château, épouse, maîtresse, bébé, parents, écouter aux portes, esclandre, violence, colère, déception, angoisse
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Commentaires
Ah enfin, je peux vous lire ! Hémorragies dans les yeux et grosse chute de vue : piqures rapprochées pour enrayer DMLA... Heureusement que mes doigts connaissent clavier par coeur.... Dire que je ne connais d'Aix que la clinique !!! Partis à dix heures, RV à midi, retour à presque cinq heures... Une folie ! Dix personnes avant moi... et une foule dense qui attendait dans le Hall d'entrée (on entre un par un dans la salle de soins !)..... ça va mieux auj ! Piqure douloureuse, car oeil droit en mauvais état ! Oeil gauche foutu ! Sur l'instant, moral en berne, mais auj, je prends cela avec philosophie... Du moment que je puisse marcher sans me cogner partout !!!
... Cependant, je dois refréner mes envies de venir par chez vous, afin de ne pas aggraver le problème !!! Désolée d'espacer sans cesse mes visites... Vous remercie bcp de vos commentaires et vous embrasse de tout coeur... virtuellement...
Il y aura toujours de conflits et là c'est bien parti pour durer tant qu'Agathe vivra dans la maison qui l'a accueillie. Mais elle n'a pas le choix en ce moment où elle est si fragile. Bon week end et j'espère que tes yeux vont mieux. Bises.
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:15
Coucou Elisabeth
Un petit mieux (voir mon message plus haut), mais pas encore "ça" ! Merci bcp de ta lecture attentive, c'est gentil tout plein ! Pourvu que ma vue reste stable, c'est tout ce que je peux me souhaiter....Pas pu du coup reprendre mon récit et ne sais tjrs pas ce qui va suivre... Mon cerveau doit mijoter qq chose, mais pas encore la niaque pour l'écouter ! Va falloir me dépêcher, car si pluie auj, beau tps va arriver alors balades !
Bcp de bisous
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Vous écrivez très bien Luciole.
Je suis effectivement en train de remanier mon roman, mais sur mon traitement de texte. Celui qui est sur le blog n'est que le premier jet. Je le remanie de temps à autre, pour qu'il soit plus compréhensible à la lecture au niveau présentation. Je ne suis pas très douée pour tous les maniements sur Eklablog. Je ne m'en cache pas. Il n'y a pas de honte à cela. Je n'est pas été longtemps à l'école : jusqu'à mon certificat d'étude. Je suis amateur dans ce que j'entreprends, mais l'imagination est présente... Je parle aussi de la Fontaine de trévi dans mon roman. Je suis allée à Rome.
Bonne Journée à vous, Luciole. N. Ghis.
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Dimanche 23 Mai 2021 à 09:21
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:32
Coucou Ghislaine
? Pas bien compris ton message...? Désolée ! Je t'avais fait un gros compliment, car le super beau blog, la présentation de tes personnages, le synopsis et la belle écriture, les décorations.... m'ont laissée baba ! Du beau travail ! Voilà ce que j'ai voulu te dire.... Dommage que je devais partir, je t'aurai mieux expliqué ! Moi non plus, pas de grandes écoles, juste la secondaire et lycée technique ensuite... J'aurai préféré littéraire, mais parents pas d'accord ! Il fallait gagner rapidement sa vie à l'époque !
Rassure-toi : je commence à savoir vraiment manier Ekla... et encore ! Mais bloquée par le Word de Windows 10, qui n'a rien à voir avec celui que j'avais appris et possédais à fond sur XP !!! Va falloir m'y mettre sérieusement ! Tu as de bonnes longueurs d'avance sur moi, tu vois !
Bonne continuation surtout, et un grand merci pour ton compliment... Je viendrai te lire quand ma vue le permettra mieux...
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Arf passage difficile pour Agathe qui découvre toute la famille et le comportement de chacun . Il va falloir qu'Elsa pèse chacun de ses mots pour arriver à calmer Agathe.
Bonne semaine
Bises
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:38
Coucou Gisèle et merci bcp pour ta visite... Tu me donnes des idées à chacun de tes commentaires, tu sais ! J'espère que mon cerveau et surtout mon inconscient iront dans ton sens... Ne sais jamais à l'avance où je vais aller dans mon histoire... Incapable de refaire même chose si mon travail s'envole, comme cela m'est arrivé souvent... Je t'avoue que les probs de ma vue m'ont fait un peu perdre le fil.... Pas grave, ça reviendra !
Gros bisous
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Bonjour Luciole, merci beaucoup pour tes gentils commentaires, c'est très gentil :)
bonne journée, à bientôt
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:59
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:39
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Pauvre Agathe, comment pourra-t-elle évoluer à travers tout ce beau monde, hélas !
Bonne semaine Luciole,
Gros bisous ♥
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:48
C'est vrai, Colette ! Je n'ai pas de mal à me l'imaginer, car moi à sa place.... holàlà ! La Bérézina !
! Les mondanités m'effraient ... je deviens bêta, solitaire et muette....
! Pauvre Agathe ! Surtout si les regards sont méprisants... là, je rentre dans ma coquille... , je me sauve et ne reviens pas ! Souvent, être soi-même est un luxe !
Merci de tout coeur, ma Colette et gros bisous
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Eh bien j'arrive en cours de récit et ce foisonnement d'idées est très agréable. Je me laisse porter... Et j'oublie tout!
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:50
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Il fallait s'y attendre, les "bourgeois" ont fait l'effort de la prendre chez eux, et ce n'était pas très facile pour eux.
J'admire Louise, d'avoir bien voulu prendre chez elle la maîtresse de son mari, je n'aurait pu en faire autant
Bisous
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:54
Coucou Livia et merci bcp de ton commentaire
Hé oui, avec la fiction, on peut tout faire ! Mais autre chose est la réalité ??? Il faut se demander, au fond, qui en souffre le plus ? Est-ce Louise et sa Famille recomposée, ou Agathe ? Va leur falloir à tous une sacrée dose de compréhension mutuelle et de respect...Bisous, ma chère Livia, et à plus quand je pourrai
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Des débuts bien difficiles pour Agathe dans cette nouvelle sphère de bourgeois !
Bises et bon début de semaine
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:56
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Pas facile de changer de vie....Tous les repères sont différents !
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Samedi 22 Mai 2021 à 18:59
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Passage très émouvant. Belle semaine et bisous-
Samedi 22 Mai 2021 à 19:01
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La violence des mots n'est guère mieux que celle des coups, ici elle marque moralement... belle semaine Luciole, bises
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Samedi 22 Mai 2021 à 19:03
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Un petit miracle vient de se passer. Enfin Agathe s'occupe comme il se doit de sa petite. Et puis c'est pour elle qu'elle continue à lutter meme si meme si....saura-t-ton ce qu"ils" disaient en bas??? Merci Luciole de ce roman palpitant!!!!! Bises