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Gare à l'eau qui dort n°67 - Frontières sociales !
Gare à l'eau qui dort n° 67
FRONTIERES SOCIALES !
Il allongea ses foulées ! (Episode précédent - cliquez sur la phrase)
Maminou l'attendait anxieusement devant le majestueux Perron, la mine sévère ! Agathe qui aurait voulu rentrer en catimini, s'énerva soudain :
"Qu'est-c'qu'elle a à m'couver comme ça, c'te grand mère ? Toujours sur mon dos ! A croire que j'suis une gamine qu'il faut surveiller comme un bébé !"
- "Misère, que t'arrive t-il, ma Chérie ? Tu es toute pâlotte ? Mais ma parole, tu es trempée ? Dans quel état tu t'es mise ? ....."
- "T'affole pas, Maminou, c'est rien ! J'ai voulu boire à une fontaine dans l'Parc et je me suis noyée, c'est tout, quoi !" lui répondit brutalement la jeune femme. "
Suffoquée par le ton revanchard de la "gamine", Maminou jugea bon de ne pas répondre ! Elle se pencha sur le landau ! Daisy, réveillée par les voix grondeuses, n'osait plus se manifester et la regardait intensément. Maminou la prit doucement dans ses bras, et lui parla avec tendresse. Daisy se tourna vers la mine colérique de sa mère... et se laissa faire, interdite !
- "Rentre vite, Agathe, tu vas prendre froid ! J'emmène la petite dans sa chambre, elle empeste ! Laisse le landau, les hommes s'en chargeront, et monte vite te changer avant que Louise ne rentre ! Tu as une mine à faire peur !" la sermonna Adèle d'une voix sèche, fort contrariée par son attitude insolente et butée... Pas facile, la gamine !
La petite dans les bras, Adèle monta avec difficulté les marches de l'escalier qui grimpait au premier. Agathe lui emboîtait le pas, surprise par ses réactions à fleur de peau ! Enfin quoi, c'était minable de s'enflammer pour rien ! Fallait qu'elle se reprenne, maintenant qu'elle s'était trouvée l'Homme de sa vie !
Pendant que Maminou changeait Daisy, Agathe prit une douche bien chaude et s'habilla avec un soin particulier : la grand mère sera contente !
Assise dans le grand fauteuil, les jambes reposant sur le pouf, Adèle câlinait la petite qui lui souriait béatement. Agathe s'attendrit :
- "C'que vous êtes mignonnes, toutes les deux ! ça t'va bien, Maminou, de dorloter Daisy ! Merci, merci beaucoup d'l'avoir fait propre !"
Daisy se retourna brusquement vers sa mère et lui lança un appel suraigu angoissé ! Agathe comprit : la petite avait peur ! C'était pareil que dans le Centre quand les autres criaient après elle.... La jeune mère prit sa fille contre elle pour la rassurer....
- "Ben ça va, Daisy, t'inquiète ! Maman est juste énervée, c'est pas grave ! J'aime bien Maminou, mon Coeur, tout va bien !"
La petite gazouilla en explorant le visage de sa mère à l'aide de ses mains, puis lui tapa brusquement sur les joues... "Bbbeuh !" souffla la mère... Daisy explosa de rire ... Le jeu dura longtemps entre mère et fille, pour la plus grande joie de Maminou, affalée dans la bergère...
Soudain épuisée, Agathe posa Daisy sur l'oreiller du parc, alla chercher un fauteuil dans sa chambre, le traîna jusqu'à la bergère et s'assit aux côtés d'Adèle...
- "Excuse moi, Maminou, j'ai été malade ! J'ai trop mangé de tartes aux fraises chez Suzy et Pierre et j'ai vomi dans un buisson.. Alors, j'me suis lavée à la fontaine, mais l'eau a trissé sur moi... J'm'en veux, tu sais ! Sais pas c'que j'ai, en ce moment, j'me goinfre !!! C'est pas normal "
- "Ah moi, c'était tout le contraire, je ne mangeais plus tant j'étais contrariée, avant de rencontrer Louise. J'étais maigre comme un coucou ! A chacun sa façon de réagir face aux épreuves et aux contrariétés ! De quoi as-tu donc si peur, ma Chérie ?"
- "J'sais pas ! J'ai peur tout l'temps... " lui répondit Agathe, incapable de définir son mal être. Le langage se dérobait... Elle se tortilla dans son fauteuil...
"Le Château de Louise est ... merveilleux, mais j'suis mal à l'aise, ici, tu vois ! J'aurais bien aimé "gravir l'échelle sociale" comme dit Lou, mais c'est pas mon truc, finalement... C'est comme si j'étais toujours sur le point de partir, quoi ! C'est juste un endroit pour survivre et pour que Daisy soit bien... "
- "Tu n'oses pas t'y ancrer, si j'ai bien compris ?"
- "heuuu ???"
- "Un bateau, pour s'arrêter et rester quelque part, jette l'ancre dans la mer. Tu refuses de t'enraciner dans un monde qui n'est pas le tien ?"
- "Bah.... je rêve d'avoir un chez moi solide, tu vois ! Qui dure pour la vie... Où j'serais Moi, et pis c'est tout ! Pas celle que les autres veulent que je sois !"
- "Je comprends ! Mais on est toujours quelque part celui ou celle des autres, où qu'on aille ! "simplifia Adèle en se calant sur le niveau de compréhension de la jeune fille... "C'est tout un travail d'intégration à faire, au coeur d'une communauté ! Tu ne seras jamais seule, tu auras toujours une communauté autour de toi à laquelle il faudra t'adapter !"
- "Ouais ! Mais ici, j'ai aucune chance de "m'ancrer" ... j'ai pas "d'racines", ici, tu comprends ? Pis j'dénote trop, j'suis comme un danger pour eux !"
- "As-tu remarqué combien tu fais d'énormes progrès de langage, ma chère Agathe...?"
- "Haa ? tant mieux ! ..... T'as pas d'vie privée non plus, ici, Maminou ?"
- "C'est vrai, mais ma vie privée était si nulle que je préfère être ici ! Je me rends utile, c'est important, de se rendre utile aux autres, vois-tu !"
- "Bah moi, y'a rien à faire, j'me sens toujours l'intruse... Comme la fille pauvre, la fille d'la rue qu'on..... héberge... par charité...
"Et pourtant, dans la banlieue, c'est une vie toute vide, qu'a pas d'sens, pas d'sécurité... tu deviens vite fou, tellement c'est minable !
Ici, c'est comme enfermé ! T'étouffes ! T'as pas d'liberté, t'as pas d'identité...Tu peux pas être Toi !"Alors, elle est où, ma place ?"
- "Ne te fais pas d'illusions, ma Chérie... Où que tu seras, tu te retrouveras toujours chez quelqu'un.. à moins d'habiter seule, et crois-moi, c'est galère d'être seule avec soi-même ! Vu comme tu es jolie et loin d'être sotte, tu trouveras un mari et tu vivras chez lui !"
- "Mais chez lui, ce s'ra aussi chez moi, quand même ?"
- "Houuu, ça....!!! Si tu veux ! mais si peu ! Ce sera un territoire à partager avec ton mari, sa famille, ses amis, et vos enfants... c'est à dire avec toute une communauté !"
- "Ouais, c'est pas faux ! Mais ici, j'ai pas d'valeur, moi !"
- "Tu as la valeur que TOI, tu t'accordes ! Peu importe ce qu'en pensent les autres ! Tu as en toi la possibilité d'affronter le monde... Tu en es capable !"
- "Ils affrontent pas le monde, ici, Maminou, ils sont contre le monde ! C'est des riches : y sont les plus forts, forcément ! Le monde, y s'en moquent, non ? Quand tu les écoutes, tu flippes, tant y se sentent les plus forts ! Y ont quand même pas le même horizon que le tien, non ?"
- "Pas faux !" la china en riant Adèle...
- "Remarque, la banlieue, c'est un monde à part aussi ! Y ont leurs lois à eux ! Si t'es pas né dedans, tu survis pas ! Dans l'fond, c'est pas mieux !
"Mais quand t'as un chez toi, tu te fais ton monde à toi ! C'est comme un entre-deux mondes ! Du coup, t'es mieux, non ?"
- "Bof... peut-être ?! Pour moi, c'est comme un espace clos avec beaucoup de gens dedans, ce que j'appelle une communauté !... Ce n'est pas toujours le Paradis, une communauté ! Il faut accepter de s'adapter ! Ce n'est pas toujours accueillant, un foyer, même seulement à deux ! Tout est adaptation ! S'accommoder de ce que l'on a, de ce que l'on vit à l'instant présent, voilà tout ! "
- "Ben dis-donc, c'est comme une bulle de savon, c'que tu dis ! C'est beau, t'es content, puis ça éclate et t'as pu rien, alors ! Que d'la misère.... ? Tu fais des projets, et paf, t'as un truc pas prévu qui t'fout tout par terre ?
"Bah moi, si j'reste ici, c'est pour Daisy ! Elle est toute neuve, elle, elle saura comment faire avec eux tous ! Elle aura une ancre ici !"
- "Elle aura un ancrage ici... un ancrage... qui sera un point de départ pour elle, c'est vrai ! On va tous s'organiser pour qu'elle évolue correctement dans ce milieu, dans cette maison, dans ce monde... Mais ce ne sera possible qu'avec toi ! Sans toi, elle serait perdue et n'avancerait plus, tu comprends ?
"Tu as beaucoup de possibilités, avec nous, au milieu de nous ! C'est la peur de l'inconnu qui te bloque... Les gens ne se font pas l'un sans l'autre ! On ne peut évoluer qu'avec l'autre, les autres... Nous sommes interdépendants. Tout est interdépendant, dans le monde ! ... c'est à dire dépendants les uns des autres...."- "Ah oui ? Et tu peux faire ce que tu veux, dans c'monde bizarre ?"
- "Tu choisis ce que TU veux faire, et tu fonces ! Tu es loin d'être une idiote ! Nous pouvons t'aider à acquérir tout ce dont tu as besoin, langage correct, manières correctes et tu verras ton horizon s'élargir...
Mais si tu veux rester à ne rien faire : c'est la mort pour toi et ta fille ! Apprends ! C'est ça la vie !"
- "Mais alors, pourquoi le monde va si mal ?"
- "Mais parce qu'on élève des barrières entre les gens, entre les différentes catégories sociales, tout simplement ! Il y a bien trop de disparités en favorisant les uns au détriment des autres.... comprends tu ?
"Que sont les banlieues ? Ce sont des lieus pauvres pour les pauvres, pour les exclus qu'on repousse volontairement loin de la frontière qui les séparent des riches et des bourgeois...
"Et comme tu l'exprimes si bien, ce sont des frontières fort difficiles à franchir ! Tu le ressens bien, tu sors de ta banlieue et te voilà complètement perdue, déboussolée.... parce que tu perds tes repères... Les repères propres à ton milieu social !
C'est normal, tu vois ! tu sors quelqu'un de son milieu habituel, il perd tous ses moyens et oui, c'est vrai, son identité aussi.... Tu as raison !
"Et ce n'est pas naturel, ça ! Ce sont des états qui ont été provoqués par ces frontières qu'on a élevées entre les uns et les autres !
"C'est à cause de ces frontières qu'il y a tant de conflits ! Et c'est encore pire pour une femme, parce que là aussi, on créé des frontières entre hommes et femmes ! Les hommes ont pris le pouvoir sur la femme... Ils leur imposent un rôle bien déterminé
Même les corps des femmes restent propriétés des hommes... Tu vois un peu comme nous sommes libres de nous-mêmes ??? Ne te fais pas d'illusions, ma petite ! Comment veux tu redresser le monde, désormais ?! C'est trop tard !
"Si Louise ne m'avait pas repêchée, je serais dans une extrême misère... Ma retraite est en-dessous du seuil de pauvreté, vois-tu ? Louise m'a aidée à franchir la frontière entre riches et pauvres ... Sans elle, je serai restée pauvre jusqu'à la fin de ma vie !"
"D'ailleurs, Louise a eu bien des difficultés à garder son rang dans "son monde" friqué à la mort de mon fils Damien ! Sans l'aide de son père et sans son courage à redresser et rentabiliser l'Agence de Damien, elle serait peut être, elle aussi, dans une misère noire, de l'autre côté de la frontière, chez les pauvres !!!.... C'est par son courage et son travail acharné qu'elle a réussi à garder la tête hors de l'eau, mon petit ! tu vois, c'est tout un boulot de rester riche !
"Te marier telle que tu es t'handicaperait terriblement ! Tu dois te motiver et travailler pour te permettre toute possibilité d'ouverture... "
- "Bah justement... Maminou, j'ai peut être une ouverture, comme tu dis ! J'suis amoureuse dingue de quelqu'un !"
- "Quoi ? ici ? mais de qui donc ?"
- "De Regan, le garde du corps... Il est trop trop bien pour moi ! Même Daisy l'a choisis pour père ! Il veut reconnaître Daisy, tu t'rends compte !"
- "Mais .... c'est extravagant, enfin, Agathe ! Tu n'es jamais sortie hors aujourd'hui, et déjà, tu me parles de mariage ? C'est très sérieux, le mariage !
"Remarque, à ton âge, il m'aurait impressionnée aussi ! C'est un très bel homme ! Un véritable Apollon .... et loin d'être sot !.... Il a bourlingué, ce gars ! Il connaît la vie et sait comment surmonter les épreuves ! C'est un homme solide sur lequel on peut toujours compter....
"ça alors! Je n'en reviens pas ! .... Regan !
"Attends ! Ne te précipite pas ! Louise a son mot à dire, tu sais, elle est votre tutrice à Daisy et toi ! Ne dis rien pour l'instant, tu vas te faire ... bloquer ! Ton avenir ne se décide pas en un jour, enfin! ça demande du temps !
"Puis, il a le double de ton âge, non ? Ce n'est pas possible, voyons, Agathe ! Ne te coince plus dans des situations pareilles ! Il sera déjà un vieux quand tu n'auras que trente ans ! On va le prendre pour ton père !..."
"Je comprends mieux pourquoi tu t'es gavée avec les tartes ! Tu dois être morte d'angoisse ! Pauvre petite ! Pourquoi te choisis tu toujours des hommes âgés ?"
- "J'sais pas, Maminou ! C'est la première fois.... que j'tombe si amoureuse d'un coup !" se mit à sangloter Agathe... "ça flambe en moi, tu sais ! J'suis toute retournée.... J'le veux, c'est tout ! Pis, tu l'aurais vu avec Daisy, t'aurais compris tout d'suite ! Il est fada de ma petite ! J'ai même été jalouse de Daisy... t'as qu'a voir un peu si j'suis mordue pour lui !......."
Adèle se leva avec moultes difficultés ! Elle était tellement fatiguée, usée... Encore une tuile à digérer ! Fallait il accepter pareille stupidité ? Elle enlaça tendrement la jeune femme qui hoquetait ... Que dire ? Que dire ?
Luciole
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Tags : Roman 1, aristocratie, château, maîtresse, bébé, grand mère paternelle, gourmandise, maux de coeur, câlins bébé, confidences, inégalités sociales
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Commentaires
La vei n'est faite que d'expériences plus ou moins heureuses...L'essentiel est de savoir en tirer les leçons.
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Mercredi 11 Août 2021 à 13:30
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Cela va-t-il se terminer ainsi pour eux deux (trois) ! C'est à voir, oui.
Bonne semaine Luciole,
Gros bisous ♥
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Mercredi 11 Août 2021 à 13:28
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Ah les angoisses qu'on "tue" comme on peut, souvent en mangeant.... bon dimanche Luciole, bises
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Mercredi 11 Août 2021 à 13:26
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Cette Maminou est pleine de bon sens.... va-t'elle pouvoir maîtriser la situation ???
Bises et bon vendredi
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Mercredi 11 Août 2021 à 13:25
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Ajouter un commentaire
Ah les frontières sociales continuent de perturber Agathe , j'espère qu'elle va suivre les conseils avisés de Maminou. Quant à la différence d'âge entre Regan et elle, est ce vraiment un frein ?
Bonne soirée
Bises